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IBIZA

Vacances - Éte 2015

A eux, à lui, à nous

PARCE QUE

L’idée est venue au cours d’une soirée : « Et si on allait à Ibiza pour les vacances ? ».


Danielle et Fred y avaient acheté un appartement un an auparavant et leur récit amoureux de cette île avait suscité l’envie d’y aller. 

Evidement quand on dit Ibiza, on entend les rythmes électroniques, on plisse les yeux devant les lumières stroboscopiques, on voit les corps bronzés et tatoués qui se déhanchent en rythme, on imagine des piscines, de l’alcool, des charters, des jeunes, la fête. David et Cathy sont là, souriants.

Et dès que vous dites, « je vais à Ibiza », votre interlocuteur vous renvoie tout cela et vous imagine dans cette fièvre, surpris. Ce n’est pas là que l’on vous a imaginé pendant les vacances.

Ibiza, ce n’est pas que cela. C’est autre chose que nous ne savions pas encore.

Nous voulions du soleil sur la peau, de la mer bleue qui rafraîchit, des lieux sauvages où se retrouver, des moments à partager. Nous voulions nous retrouver ou simplement nous trouver tous les cinq. Parce que nous l’avions perdu et que perdus, c’est ensemble que l’on voulait se réconforter. Un moment exclusif et partagé. 


Parce que.

"PAS SAGE"

Nous nous sommes retrouvés à midi au Passage du Grand Cerf. C’était le début des vacances à la terrasse d’un bistro. Il y avait à la carte un burger au boudin noir et un hot dog à la saucisse d’Auvergne. Alléché j’avais proposé le « Pas Sage » comme lieu de rendez-vous.

Il faisait très chaud, un temps lourd, humide et poisseux. Le ciel avait viré au gris. Des gouttes se sont mises à tomber mais nous n’avons pas bougé. Nous sommes restés là, goûtant la maigre fraîcheur apportée par cette eau du ciel. Nous avons décidé de ne pas nous mettre à l’abri et de déjeuner là sous la pluie. Les gens passaient surpris. Nous étions déjà ailleurs, entre nous.

Nous étions posés autour de la table. Je me suis dit que c’était une belle image. On était posé. On allait se reposer. Partager le moment, prendre le temps, laisser couler l’instant, suspendre les secondes.

On s’est dit des mots pour parler. Les voix étaient douces et calmes. Chacun était à la bonne tonalité qui fait que le chant est clair. Les voix ne forçaient pas. Les conversations venaient dans la respiration du corps et leur musique était apaisante. Le sens ne m’atteignait pas. 


Qu’importe, nous étions déjà bien.

PAS COOL

Nous avons pris le métro pour rejoindre l’aéroport. C’était le premier jour des vacances et bizarrement les trains étaient vides. La même ambiance douce et sans stress nous enveloppait comme une bulle. Juste quelques rires rappelaient à nos voisins que nous étions bien présents.

L’arrivée à l’aéroport a perturbé cet équilibre. Nous avons découvert une file d’attente de presque cent mètres. Elle conduisait à l’enregistrement de six vols en partance pour l’Espagne. Tous ces vols partaient du même hall, le nôtre aussi. Une organisation bien curieuse.

Nous avons pris notre place dans la queue et à partir de là, tout a été long : deux heures pour atteindre le comptoir d’enregistrement dans une pagaille organisée. Un stress ambiant nous a agressé. 

Des gens courraient. Des parents paniqués cherchaient leurs enfants : « Raphaël ! ». Une mère grondait sa fille : « Tu es très mal élevée ». « La faute à qui j’avais envie de lui crier, bonjour la culpabilité, connasse ». Des hôtesses essayaient de discipliner la file d’attente : « Les gens pour Porto, ici ; les passagers pour Valencia, là ; ceux pour Ibiza, passez devant ». Tout cela dans un même espace, le chaos. Un vol a été annulé. Le ton est monté, la colère a fusé. L’angoisse nous a pris mais nous avons résisté : bagages enregistrés.

Nous nous sommes retrouvés dans la salle d’embarquement pour une heure d’attente, vol retardé. La tension est un peu retombée. La chaleur était pesante, l’air lourd, la lumière blanche. Nous avons bu, beaucoup, pour rafraîchir cette moiteur. L’embarquement a commencé, long, pénible. Personne ne respectait les consignes. Il a fallu piétiner mais pas à pas nous avons rejoint les rangs 29 et 30 au fond.

L’avion a enfin décollé. Nous nous sommes envolés pour Ibiza. Epuisés, un somme nous a pris tous les cinq. Chacun a rêvé aux jours suivants. 


Et là, tout est calme, repos et enchanté.

BIENVENUE

« Bienvenue à Peter, Vince et leurs friends » disait la pancarte. Ils sont derrière, souriants et bronzés. Ils sont dans le lieu et dans l’ambiance. L’accueil est adorable et nous touche. Nous sommes désorientés.

Nous voilà tous les sept dans la voiture. Danielle est avide de nous donner un maximum d’informations, de recommandations, de conseils. Nous ressentons son amour pour cette île, son plaisir à nous le faire partager et sa peur que nous soyons déçus. La route défile poussiéreuse. Les maisons sont blanches. D’immenses panneaux publicitaires jalonnent le parcours. Nous découvrons le nom des boîtes de nuit : Le Pacha, l’Ushuaia. C’est l’Espagne pas de doute. Eivissa la blanche nous accueille à sa manière avec force et douceur, tout en contraste.

Du rosé, de la bière, du poulpe, de l’aïoli, de la tortilla, Danielle et Fred savent accueillir leurs locataires. Les verres tintent, c’est le son de l’amitié. Le soleil est couchant, le sourire est aux lèvres, les verres sont givrés, une brise caresse la peau, la mer chante au loin. Nous sommes apaisés.

Nos propriétaires nous laissent à notre séjour. Nous investissons l’appartement, chacun choisit sa chambre, les valises se vident, chacun fait son lit.

La nuit est tombée. Nous descendons dans le centre du village. Nous trouvons la plage. Le sable est frais aux pieds. Nous entrons dans l’eau. La mer nous reçoit avec tendresse. Elle est tiède et doucement salée.  Après quelques brasses, on se tourne vers le rivage. Les restaurants illuminent la côte. Leurs reflets brillent sur la surface ridée. Nous nous sentons lavés de la journée. Nous nous enfonçons dans la nuit. Nos cœurs se règlent aux battements de l’ile. Sous le ciel étoilé, nous y sommes. 

Nous sommes en vacances à Ibiza.

PETIT DÉJEUNER

Le jour nous a réveillé un par un. Sur la terrasse c’est le premier café. Les visages sont doux comme les paroles. La vue sur la mer nous charme, le bruit des vagues nous berce, le parfum des lauriers roses ravit nos narines et la chaleur qui monte doucement câline notre épiderme. On se réveille doucement.

Ce rituel va se répéter tous les matins : préparer le café à tour de rôle, installer les tasses et les verres pour le jus d’orange, disposer les madeleines dans une assiette, griller le pain, ne pas oublier le sucre et le beurre. Et chaque jour, nous allons attendre que tous soient levés pour prendre ce petit déjeuner ensemble. C’est le seul repas que nous prendrons à l’appartement.

C’est un moment de partage intime. Chacun est encore dans ses rêves. Le temps nous prend, doucement. On parle, on rit, on se raconte, on partage des idées. Rien n’est important, tout est essentiel. Tout est pudique, rien n’est caché. Le temps s’étire en lecture, en tricot, tendrement. La fumée des cigarettes enrobe nos paroles avec gentillesse. Le temps nous révèle à ce sentiment. L’amitié est là, apaisante et sereine.

Puis les journées s’organisent simplement, enfourcher les scooters, manger, boire une bière, aller à la plage. Ce programme va se répéter au fil des jours, telle une chanson, comptine de joie et de rire.


« J’ai les clés du paradis ».

ES FIGUERAL

C’est au bout d’une route. Après il y a la plage avec ses matelas et ses parasols verts. Sur la droite le bar d’un hôtel offre une terrasse avec vue. Nous avons marché dans le sable. Il est doux. Il y a du monde mais sans trop.

Nous avons choisi une place au hasard.  Chacun a sorti sa serviette, sa crème solaire, son livre. Il faut retrouver les gestes de la mer que l’on a oublié après un an. Mais cela revient vite.

Nous avons mis les pieds dans l’eau. Elle est claire, elle est chaude, elle est bleue. On s’est laissé glisser jusqu’au cou. C’est comme une renaissance. On fait la planche, l’eau dans les oreilles. On écoute le silence de la mer comme un ronronnement. On se sourit. On se prend la main. Certains nagent plus loin. D’autres ont mis un masque pour regarder les poissons.

Vincent s’est éloigné vers des rochers. Soudain il crie. Je rassure mes camarades : « il fait le clown comme d’habitude ». Il revient à la nage, son visage grimace. « Je me suis fait piquer par une méduse. » Un cercle rouge lui marque l’épaule. Il a mal. La mer vient de nous rappeler que nous ne sommes que des invités. Je l’accompagne au poste de secours et le maître nageur le soulage d’un jet de vinaigre.

Nous décidons de changer de place et nous allons plus loin vers le bout de la crique. Il y a moins de monde. Certains sont nus. C’est au choix, c’est la liberté du maillot ou pas. Nous rencontrons nos premiers hippies. L’homme a le cheveu long, la barbe hirsute, le tatouage présent. La femme a des fleurs dans les cheveux, un bracelet à la cheville, un enfant nu dans les bras. On dirait qu’ils sont là depuis quarante ans, imperturbables dans leur histoire. Le temps s’est arrêté.

Pour nous aussi le temps se fige. Couchés sur le sable, le soleil sur la peau, la tête dans nos rêves, le soleil suit sa course sans que rien ne perturbe la quiétude de cette après-midi. Plus rien n’est dit. Chacun savoure. 


Nous sommes ensemble dans l’instant.

PUNTA GALERA

A Ibiza chaque journée a sa plage. Et il y a une plage pour tous les jours de l’été. Nous avons mis le cap à l’ouest. Nous avons cheminé à travers la campagne, évitant la route principale, les trois scooters en file indienne. Le vent sur le visage donne un sentiment de liberté. L’air est chaud. La terre est rouge. La nature dégage de douces senteurs.

Sur la route de Santa Agnès de Corona, nous tournons à gauche vers la mer. La route devient vite un chemin caillouteux. Nous descendons vers le bout du monde. Un virage sec, et le chemin s’arrête. Nous continuons à pied sous un soleil de plomb. Nous surprenons la mer du haut de la falaise. Elle est d’un bleu profond. Le sentier est blanc et poussiéreux. La beauté du lieu nous fige un instant. Prudemment nous descendons vers la crique.

La plage est faite de grands plateaux de pierres noires. Une falaise de marne blonde, telle une pâte feuilletée, la surplombe. Le passé volcanique de l’île s’impose à nous. On se pose dans ce tableau géologique.

L‘eau est claire et fraîche. Le soleil est très chaud. La pierre nous renvoie sa chaleur. Nous ne pourrons nous allonger. Qu’importe, la beauté du lieu nous fascine.

Et là, magie d’Ibiza, un panneau annonce : Mojitos, boissons, sandwichs. Un homme s’est installé dans un creux de la falaise et vit là, tel un troglodyte. Il fait commerce à sa façon. A notre faim, il proposera du pain, du pâté, des tomates. Il étanchera notre soif avec de l’eau et du coca. Il vend des plantes. Il soigne un baigneur avec un cataplasme. Il semble sorti d’une autre dimension. Il sourit, il est heureux. 

Je pense à mon métier, aux boîtes de conserves alignées sur l’étagère, à la petite banderole qui annonce la promotion, à l’étiquette du prix qui n’est pas de la bonne couleur, à toute cette énergie pour des choses inutiles. L’essentiel est ailleurs et certainement là, simplement.

Un jour, nous sommes allés à Punta Galera, et ce jour là, nous avons été particulièrement heureux.

HIPPY MARKET

Le mercredi, il y a le marché hippie à Es Cana. C’est un incontournable. Toute l’île y vient. Nous ne pouvions le rater. Nous y sommes tous allés, même si c’est un marché pour les filles d’après Danielle.

Le marché est immense. Il est situé au milieu d’un village de vacances. Tout s’y vend mais surtout des bijoux fantaisie, des accessoires et des vêtements. Certains objets sont fabriqués localement, beaucoup viennent d’ailleurs. 

Il y a beaucoup de monde. Et il y a des hippies. Ils sont arrivés dans les années 70 et on fait la réputation de l’île. Ils ont les cheveux longs avec un foulard, le bracelet à la cheville, une chemise et un pantalon de coton ample. Tous sont nus sous leur vêtement et cela se voit. Ils s’embrassent pour un rien. C’est la communauté. Pour fonder la nôtre, on s’offre des petits bracelets de ficelle avec des perles. Ce sera notre lien. C’est le bijou des vacances.

Nous découvrons au détour d’une allée un stand qui nous attire immédiatement. Il y a beaucoup de couleurs vives. Des sacs, des pochettes, des portes monnaie de couleur nous interpellent. Ils sont faits dans une toile enduite souple avec des inscriptions. La vendeuse nous aborde et nous explique. La matière première, ce sont des sacs pour emballer du riz ou des aliments pour les animaux, utilisés en Thaïlande. Dans un village, des femmes récupèrent ces sacs et fabriquent cette maroquinerie. C’est une production équitable qui fait vivre le village. Nous venons de faire un voyage. On se laisse séduire et voilà trois d’entre nous équipés. Un des rares stands authentiquement hippies du marché.

Nous sortons fatigués du marché, trop de monde. La faim nous tenaille et la soif. Nous nous arrêtons au bar du coin de la rue. La mondialisation a fait la carte. Un burger, une salade César, des saucisses, des œufs au plat, des pizzas, des frites mais les Espagnols ont un certain talent pour préparer tout cela. Nous mangeons avec plaisir accompagné d’une pinte de bière voire de deux.

Aujourd’hui c’est la paresse et nous irons à pied à la plage d’Es Cana. C’est une grande plage de sable, jolie mais sans charme. Au bord de la route qui la rejoint, il y a un camping. C’est le lieu des hippies. Chaque emplacement est un campement où un désordre pittoresque règne. Il y a des tapis, des hamacs, des cousins, des toiles tendues pour se protéger du soleil. C’est à mi chemin entre une tente berbère, une caravane de gitan, un oasis dans un désert d’Arabie. C’est spartiate et confortable. C’est coloré et poussiéreux. C’est peace and love.

Aujourd’hui c’est la canicule. L’air est chaud, le soleil est chaud. La mer est chaude, très chaude. On a l’impression de rentrer dans un bain. La température de l’eau semble plus élevée que celle de l’air. L’eau devient trouble. Ça n’est presque plus agréable. Les algues cuisent sur le sable, l’air est sec. Les odeurs sont fortes, une odeur de marée, de vase. Nous aurons du mal à trouver le repos, allant de l’eau à la serviette et de la serviette à l’eau. Finalement l’après midi passera en douceur, en chaleur, en baignade.


C’est ce soir là, avide de fraîcheur, que nous décidons d’aller enfin à Eivissa et de visiter la vieille ville.

EVISSA

C’est par une petite route que nous avons rejoint Ibiza. Il y a d’abord eu la direction de « Sieste », j’ai failli tourner. Puis nous avons traversé « Jesus », il n’était pas là, pour enfin arriver dans les faubourgs d’Ibiza. Nous atteignons le port.

De grands yachts luxueux sont rangés le long du quai.  Les bars et les terrasses sont chics. Il y a des boutiques au nom des Night club. Nous marchons au hasard. Nous pénétrons dans la ville. Elle est belle. Elle est catalane. Il y a beaucoup de jolies boutiques. On fait les vitrines. Sylviane trouve enfin les espadrilles à talons compensés qu’elle cherche depuis des mois.

Nous pénétrons dans cette petite boutique. On descend trois marches. C’est minuscule. Les boîtes à chaussure en carton brut sont rangées sur des rayonnages le long des murs. Le plancher est usé comme le comptoir. Une télévision au fond diffuse un programme de variété. 

Ils sont là souriants et nous accueillent. Ils doivent être là depuis soixante ans. Elle est petite et voûtée. Les doigts de ses mains sont tordus par les rhumatismes. Il est grand et bien droit encore. Il est campé derrière le comptoir près de la caisse. Ils font partis de leur boutique et leurs rides racontent l’histoire du magasin.

C’est elle qui s’avance. Elle marche pliée en deux. Sylviane lui montre en vitrine le modèle qui la tente. La pointure précisée, la séniorita  attrape une échelle. Yann lui propose de l’aide. Elle le repousse d’un geste autoritaire. Elle grimpe avec une étonnante agilité pour attraper en haut la paire demandée. Elle redescend et va s’asseoir sur une chaise. Elle invite sa cliente à la rejoindre. Elle est vraiment toute petite et toute bossue. Elle prépare avec des gestes que j’imagine douloureux, les rubans de l’espadrille. La première paire est trop grande. Elle dit trois mots en catalan et le voilà, lui, en haut de l’échelle. Celle-ci sera la bonne.

Je reste là à observer ce lieu et ce couple. Ils sont là depuis longtemps, ils sont là depuis toujours, bien avant David et Cathy, bien avant les hippies, bien avant notre première visite. J’aimerais rester là et les écouter  nous raconter l’Ibiza d’autrefois et l’Ibiza d’aujourd’hui. Ils ont traversé les époques. Ils seront là jusqu’au bout, leur vie est là. Ils sont beaux tous les deux dans leur petite boutique d’espadrille dans la luxuriante Ibiza. Ils sont une présence authentique et vivante qui ôte toute superficialité à ce monde de paillettes nocturne.

Nous continuons naturellement vers la vieille ville. Elle domine tout. Nous montons un escalier. Nous y pénétrons par une porte du rempart fortifié. Les façades sont blanches.  Des rideaux extérieurs abritent les fenêtres du soleil. Cela rappelle certains villages grecs. Les rues sont pavées de grandes lauzes. Elles montent doucement vers le haut de la ville. La nuit est tombée. Un éclairage jaune nous fait découvrir, des portes, des ruelles, des escaliers. C’est très propre. Par des portes ouvertes, nous apercevons des moments d’intimité. Un couple rentre chez lui. Un chat couché à même la rue, nous observe mais ne s’enfuit pas. Il est chez lui. De rue en ruelle, d’escalier en détour nous montons lentement. Nous atteignons enfin la place de la cathédrale et le point de vue s’offre à nous. La baie est face à nous, le port scintille. Toute la ville est à nos pieds. C’est très beau.  Nous avons trouvé la fraîcheur.

La cathédrale est fermée, nous ne pourrons la visiter. La descente se fait par l’autre côté à travers les remparts. Nous cheminons par des couloirs au sein des murs épais. Nos pas raisonnent, un éclairage cru au néon donne à ses passages une ambiance. Notre équipe se transforme aussitôt, nous sommes agents secrets, des voleurs en fuite, le club des cinq. Notre reporter couvre l’événement. Nous rions. Nous sommes légers. C’est l’été, la soirée est douce.

Revenus dans la rue commerçante, nous allons nous offrir une glace que nous dégusterons sur les marches d’un escalier et c’est là que nous ferons la rencontre la plus effrayante d’Ibiza. C’est moi qui le vois en premier sur le mur blanc. Il fait bien cinq centimètres de long sans les antennes. Il est blond caramel. Il est vif. Il court sur les marches. Nous faisons un bond en arrière. Chacun retient sa respiration. Il s’arrête un temps et nous observe. Nous n’en n’avons jamais vu de si gros. Puis il s’engouffre dans la bouche d’égout proche. Le cafard a disparu nous laissant livides et médusés.


Nous sommes rentrés par une nuit fraîche et noire. Nous avons eu presque froid. Au détour d’un virage, une chouette Effraie nous attendait. La dame blanche prit son envol à notre passage emportant vers son clocher nos frayeurs enfantines. Et à partir de ce jour, chaque soir à notre passage, l’oiseau au visage en cœur nous a fait signe d’un battement d’aile, vérifiant à chaque fois que nous étions sereins et heureux de notre journée.

PORT DE SAN MIQUEL

Sur les conseils d’une commerçante de Santa Euralia, nous décidons de partir découvrir les plages de Port Sant Miquel. On s’est levé tôt ce matin pour avoir une longue journée. Enfin tôt, 8h. Nous devons rejoindre le nord de l’île.

Nous traversons son centre, c’est la campagne. Nous découvrons des fermes biologiques. Elles proposent un tourisme agricole, revenir à la terre, cultiver à l’ancienne, utiliser toutes les ressources de la nature. C’est l’influence hippies. C’est une autre Ibiza.

Nous traversons Sant Miquel de Balansat. C’est presque un village de montagne. Toutes les maisons sont blanches, une 

place, une jolie église. Puis c’est la descente un peu raide vers Port Sant Miquel. C’est une petite station autour d’une grande crique. Tout est plus propre dans cette partie de l’île, moins de poussière, des matelas de plage et des parasols indigo, de grands hôtels accrochés à la montagne. Le tout baigné par une mer bleue marine.

Suivant les indications de notre guide, nous empruntons un sentier côtier qui serpente. Nous arrivons sur une première plage. Comment vous la décrire, c’est tellement charmant et indescriptible. C’est autre chose. Bien sûr, il y a des matelas, des lits à baldaquin, une terrasse ombragée, des fleurs. Tout est blanc. Rien n’est luxueux. Tout est souriant. Rien ne manque. Une poésie certaine s’en dégage. Pourtant nous passons.

La randonnée continue, la pente est raide, on se perd un peu, on retrouve un chemin et enfin nous arrivons. 

C’est le bras d’un isthme. La mer est de chaque côté. Le vent souffle. Il y a une cabane de bois, des chaises longues, une terrasse. Sur le côté, des garages à bateau avec des rails sur un plan incliné pour descendre l’embarcation à la mer. C’est rude, pas de sable, des cailloux mais c’est beau.

Nous avons faim. On réserve des transats et on s’installe aussitôt. De la bière bien sûr, c’est notre boisson, un mix de grillades, une salade de tomate, des frites. Notre commande nous arrive dans de grands plats comme dans les pensions espagnoles. Et là démarre le plus merveilleux des repas. La viande est succulente. Le poulet, le porc, l’agneau, les saucisses sont grillés à point. C’est goûteux, c’est juteux, c’est délicieux. Les tomates ont épousées l’oignon blanc, habillées d’huile et de vinaigre. Les frites sont blondes, chaudes et croustillantes. Nous vivons une extase sous le parasol dans un coin perdu. Le soleil brûle nos épaules. La bière nous grise. On se regarde, on se sourit. Je sais déjà que l’on se souviendra longtemps de ce repas.

Après cette orgie si réjouissante, certains vont à la sieste, d’autres à la mer. On s’offre au soleil, à nos livres, au farniente. Le temps s’effiloche doucement.

C’est le soleil déclinant derrière la montagne qui annonce le moment du retour. Nous reprenons le sentier et retrouvons au détour la première plage. Elle est à l’ombre. Elle est toujours aussi souriante et poétique. Nous la traversons. On s’arrête au milieu. Personne ne repart. On regarde l’endroit en silence. Et puis Willy propose de s’asseoir pour boire un verre. Mais oui, bien sûr, c’est évident. On s’installe sur la terrasse. Nos voisins boivent une sangria. Mais oui, bien sûr, de la sangria. 

La terrasse est ombragée par une tonnelle de bois recouverte d’un filet de camouflage blanc. Les montants de bois créent face à nous un cadre sur le paysage. Au tasseau du haut, il y a des petites bouteilles pendues avec des fleurs séchées. Tout cela semble improvisé mais ne l’est pas. Ce lieu a été organisé avec goût. Il y a du charme dans l’air et la poésie est palpable. Le temps s’est arrêté et se dissout dans l’air comme la fumée de nos cigarettes. Il n’y a plus d’heure. La sangria est bonne et fraîche. Une femme dort sur un des lits de plage. Nos voisins nous sourient. C’est un vrai moment de volupté.

La nuit qui tombe nous pousse  à partir. En quelques pas nonchalants, les yeux rivés sur la mer qui ballote les bateaux au mouillage, nous retrouvons Port Sant Miquel. Nous n’arrivons pas à quitter cette journée. Elle doit se terminer là. Nous décidons de manger sur place, le corps salé, les cheveux collés, les pieds poussiéreux. Mais qu’importe, on est tellement dans le moment.

Nous sommes rentrés de nuit. Le phare du scooter perce la nuit. L’air est frais. Le moteur ronronne. Je pense à cette journée. Elle a été belle, presque irréelle. Nous n’avons rien décidé, nous avons suivi notre instinct. On a partagé la chair et le vin. On a communié dans l’amitié. Le divin nous a touché. Tout était si simple.


Et trois scooters emportent dans la nuit les cinq amis. La lueur des phares a disparu en haut de la colline. Ils ont laissé Port Sant Miquel. Mais sur la côte là bas, au bord du chemin, un ciste gardera à jamais le souvenir de leur passage.

CALA COMTE

Pour le dernier jour, une histoire de troglodyte nous a conduit à la plage de Cala Comte. Quand on y arrive, on tombe sur un parking plein. C’est peu engageant. Il faut s’approcher du bord. 

D’abord il y a la mer d’un bleu turquoise irréel. Ensuite il y a le sable qui est jaune, presque ocre. Cala Comte est une falaise de sable qui s’avance dans la mer. En face il y a une petite île désertique. La falaise a été érodée en plateaux successifs qui surplombent la plage. Sur le côté un éboulis de gros rochers noirs nous rappelle le passé volcanique. Le décor est paradisiaque. C’est très différent des autres plages.

Il y a du monde. C’est la plage à la mode. Yann nous trouve une petite terrasse en hauteur qui nous permet de dominer la situation et le microcosme local. Il y a du vent aujourd’hui qui nous fait oublier la brûlure du soleil.

De notre position dominante, j’observe la foule présente. C’est une passion. Il y a beaucoup de jeunes. C’est la clientèle d’Ibiza que l’on nous montre à la télé. Les corps sont beaux illustrés de tatouages. Les yeux se cachent derrière des lunettes de marque. Il y a ces quatre filles sur leur serviette à la beauté insolente. Il y a ces quatre garçons debout à côté, le muscle parfait. Personne ne se regarde, tous s’observent. Le désir est palpable même à 50 mètres. Ils se retrouveront plus tard dans une des boîtes de nuit. Il y en a de plus vieux qui essaient de donner le change. Leurs tenues sont ridicules, leurs corps factices, leurs rires sonnent faux. 

Il y a ce garçon seul. Il a laissé ses camarades partir avec leur masque observer les fonds marins. Il est sur le bord de la plage. Il fait des dessins sur le sable avec ses pieds. Il danse pour éviter les vagues. Il va sur les rochers, il observe les trous d’eau. Il semble parler aux animaux. Il se couche à plat ventre sur une pierre et laisse plonger ses bras dans l’eau. Son comportement est curieux mais il est heureux. Cela se voit.

Et puis il y a ces deux garçons enlacés dans la mer, ils se parlent tendrement, ils s’embrassent. Plus rien ne semble exister pour eux. J’aime cette liberté que je n’ai pas connue à leur âge.

Je quitte mon perchoir et je vais goûter cette eau si claire. Elle est fraîche aujourd’hui. Je me tourne vers la plage. Mes amis sont regroupés sur notre bout de falaise. Sylviane est allongée. Vincent est assis enveloppé dans sa serviette. Yann et Willy, debouts, scrutent l’horizon. Je cadre cette scène au plus prêt et retire le contexte. Je pourrais les croire perdus dans le désert. Mais je les vois apaisés. Ils ne sont pas perdus. Ils dominent le monde. Ils sont forts. Ils sont beaux. Heureux.

Je fais un zoom arrière. Le tumulte de la faune locale revient en arrière plan. Et là, je vois bien qu’ils sont à part. Ils n’ont rien d’exceptionnel. Ils sont liés. Ils sont ensembles. 


Nous sommes ensembles.

DERNIÈRE SOIRÉE

Nous avons rendu les scooters. Nous avons fait nos valises. Nous avons nettoyé l’appartement. Demain nous repartons. Mais ce soir là Es Cana est en fête.

Nous descendons au village. Les trottoirs sont remplis. Des concerts à chaque coin de rue diffusent une musique forte. La foule est joyeuse. Nous déambulons dans les rues, nous laissant porter par l’euphorie collective.

Nous choisissons un restaurant au bord de la plage. Un serveur nous accueille. Holla ! Il est très joli garçon. Le sourire de Willy ne lui laisse aucun doute sur le désir qu’il déclenche.  Gêné et séduit, il nous trouve une table. Séduit, il redouble d’efficience pour nous servir rapidement. Gêné, il n’osera plus croiser le regard de son aguicheur. C’est si bon l’été quand le soleil a chauffé les corps toute la journée de laisser les jeux de la séduction charmer de brèves rencontres.

Notre projet, ce soir là, était de goûter les plaisirs de la fête foraine. Deux attractions étaient au programme.

Une cage sphérique, reliée à deux énormes élastiques tendus, accueille deux passagers. Elle est projetée en l’air brusquement lorsque ses caoutchoucs sont lâchés d’un coup. Yann et Vincent, nos deux fadas amateurs de sensations, s’étaient lancés le défit de se confronter à l’appareil. Les trois autres restèrent au sol, mi craintifs, mi admiratifs, partageant ainsi les sensations fortes induites par le manège. La petite vidéo qui a capté les grimaces de leur visage pendant la folie vertigineuse deviendra le moment hilarant des soirées hivernales.

La seconde attraction est un petit train conduit par un dragon dévalant un rail tel un grand huit pour enfant. Les tressautements de la queue de cheval d’une passagère avaient un soir déclenché chez nous des rires incontrôlables. Nous avions décidé de tester avant de partir les virages du dragon. Sylvianne dut faire une queue de cheval, tout le plaisir étant de suivre les mouvements de sa chevelure bousculée. Nous avons chacun pris place dans un chariot et nous nous sommes laissés aller aux mouvements libres du convoi.

C’est à ce moment, retrouvant notre âme d’enfant, l’insouciance, la spontanéité, riant à gorge déployée, les yeux brillants, la tête renversée, le corps relâché que nous avons été surpris par la première fusée. C’était le feu d’artifice inaugural de la saison qui commence.

Là sur la plage, les pieds dans le sable, la tête dans les étoiles nous avons assisté à l’embrasement du ciel. Du bleu, du rouge, du vert, du blanc, des traits, des boules, des couronnes, des étoiles qui se suivent, qui se croisent, qui nous laissent émerveillés et effrayés. C’est la joie de nos cœurs qui explosent, c’est la gaîté de nos sentiments qui brillent, c’est le bouquet final de nos vacances partagées.

Ce soir là l’amitié a illuminé le ciel et s’est reflétée dans la prunelle de nos yeux.

J'AI LES CLÉS DU PARADIS

Nous sommes allés en vacances à Ibiza. Nous avons vu une île et ses paysages. Nous avons senti le soleil et la mer sur notre peau. Nous avons goûté la bière et les tapas. Nous avons senti une ambiance. Et l’histoire de cette semaine n’est pas l’histoire que l’on vous montre. 

Bien sur Ibiza c’est la fête et l’exubérance. Mais c’est aussi tout ce que l’on vient de vous raconter, ses images, ses sons, ses odeurs, ses sensations. Une atmosphère qui fait certainement le succès de l’île depuis toujours. Une turbulence qui traverse les époques et garde une certaine authenticité. Nous espérons que cela va exister longtemps.


Nous avons surtout trouvé, pendant huit jours entre nous cinq, un équilibre. Un équilibre juste, précis et accordé, comme une musique, comme une photo, comme un parfum, comme une saveur, comme une caresse. Un équilibre à tout instant.

Il y a l’équilibre des humeurs. Adieu agacement, énervement, contrariété, bonjour gaieté.

Il y a l’équilibre des sentiments. Adieu tristesse, colère et peur, bonjour la joie.

Il y a l’équilibre des besoins. Manger, boire, dormir au même moment.

C’est un peu comme si dans un espace temps suspendu, les petits désagréments du quotidien et les grandes questions de la vie, s’étaient absentés pour nous laisser tranquilles.

Il n’y a rien du miracle en cela, non. Mais certainement un secret commun qui permet le partage. Chacun a suffisamment d’amour, d’abnégation, de générosité pour soi même et pour l’autre. Et là, dans chaque instant, nous avons trouvé le bonheur.

Il y eu bien sur cette absence en permanence. Cette absence douloureuse pour chacun. Des larmes nous ont rappelé sa présence. Cette absence deviendra chaleureuse un jour parce qu’elle nous lie, parce qu’elle nous aime pour toujours. Elle s’est réjouie de notre bonheur certainement et cette bienveillance nous a permis de passer de si jolies vacances. Un temps pour nous aider à l’accepter, une parenthèse enchantée.


Voilà vous savez tout. Ibiza est un paradis que nous avons su prendre. Moi en souvenir je garderai au fond de moi cette ritournelle, ces trois notes, ces cinq mots.


C’est les clés du paradis

Sans dec’

C’est les clés du paradis

Je te jure

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