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CATALOGUE D'AMOURS

Septembre 2022

Avant-propos


Ce catalogue d’amours s’est construit au travers d’un atelier d’écriture tout au long de l’année. Tous ces textes ont été écrits à partir d’un matériel de mots, de phrases, d’idées et dans un temps de vingt minutes. Un exercice où il faut lâcher sa raison, la laisser vagabonder à partir d’une idée pour accueillir les mots au bout de son stylo et construire des textes souvent à fleur de peau, à fleur d’esprit. Le résultat est souvent magique, parfois décevant mais toujours étonnant.


A la fin de la saison, parcourant la production, je garde les textes que je préfère et cherche le lien secret qui les unit. Parce qu’il y a un lien bien sûr, celui de notre état d’âme, un fil diffus presque invisible qui conduit nos vies, un fil d’Ariane qui parcourt notre chemin depuis le premier jour jusqu’au dernier. Cette année, le fil avait la couleur de l’amour.


Cet attachement à l’amour des autres a mis du temps à m’apparaître puis, comme une évidence dans un lieu de recueillement, il s’est montré comme une certitude. Alors j’ai cherché le bon classement pour construire ce catalogue. Ces textes sont bruts d’écriture et n’ont pas été retouchés.

L'amour c'est l'amour
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L'AMOUR D'ÉCRIRE

Je suis bredouille, je n’ai rien trouvé, je suis sec, je ne sais pas quoi écrire, l’inspiration ne vient pas, page blanche, idées taries.

Il m’avait dit « Écris moi un texte sur la maison, donne-moi de jolis mots pour raconter son histoire »


J’ai donc remonté mes bretelles, appointé mon crayon, ouvert mon cahier, j’ai bien lissé la feuille, j’ai écrit la date, j’ai calibré mon texte, une page c’est bien, mille signes au maximum, j’aime bien être concis.


Et je bêle telle une brebis devant l’auge, je tire la langue bouche ouverte. Je suce mon crayon. Je regarde la carte de la Grande-Bretagne au mur cherchant un indice, un mot qui déclencherait un flot dans mon esprit. Mais je suis comme un zèbre, tout est rayé dans ma tête, je suis membre de la confrérie des écrivains qui n’écrivent pas, ou plus, ou rien.


J’ai pourtant pris un bon breakfast ce matin, des œufs et du lard pour les protéines, du jus d’orange pour les vitamines et un bon café pour m’éveiller l’esprit. Mais je suis comme un concombre, comme un con, incapable de trouver une piste, un début.

PREMIÈRE PARTIE

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PRELUDE À L'AMOUR

« Je ne sais jamais quoi dire » me dit-il à ce premier rendez-vous. 


J’ai souri et je l’ai regardé dans les yeux. Ils sont d’un beau bleu profond, presque marine. Ses cheveux sont roux, presque blonds et sa barbe est légèrement plus foncée. Je le trouve beau. 


C’est l’été. Il sort son téléphone, ses doigts s’agitent sur l’écran. Il se rapproche de moi, nos jambes se frôlent, il a le poil doux. Il me montre une photo de lui. « C’est un petit souvenir de Bruges sous le soleil de l’hiver » commente-t-il. « Je suis avec mon frère ». Le doigt glisse sur une autre photo. « C’est à Granville, l’été 2017, ce fut une belle journée, si tendre ». Il ne me dit pas qui est le garçon à côté de lui, qu’importe. Photo suivante, elle est en noir et blanc, un peu jaunie. Il a photographié une vieille photo, image d’image.

  • C’est au café Odessa, rue de Rome à Paris en 1926. Ce sont mes grands-parents, ils parlent du tilleul de leur enfance

  • Comment le sais-tu ?

  • Ma grand-mère m’a beaucoup raconté cette photo


Nos jambes se touchent, j’aime la chaleur de nos peaux. Il range son téléphone. J’aime ce moment de petites confidences illustrées. Je sors mon téléphone à mon tour. Je cherche dans les albums, je trouve. Je pose mon bras sur sa cuisse pour mettre le téléphone entre nous, le coton de son short est frais. Je lui montre une photo de Lille en hiver.

  • La lumière y est belle dès qu’il fait beau

  • Je connais Lille, me répond-il, enfin un peu, j’y suis allé un week-end.

Puis une photo de moi, il y a vingt ans.

  • C’est place du Bouffet à Nantes, j’ai travaillé dans ce café un an.

Je lui montre une photo d’Anna.

  • C’est mon amie, elle est à Odessa. Nous pourrions aller la voir un jour ?!


Il sourit, ne dit pas non. On ne se connaît pas et déjà je fais des projets d’avenir. Je vis l’instant comme d’habitude, sans retenue, sans peur, avec enthousiasme.


Côte à côte, nous regardons dans la même direction. A l’autre bout du jardin, deux chats se défient du regard, ils se tournent autour, les poils s’hérissent, les queues s’agitent. Ils n’échangent aucun mot, juste un souffle. Ils s’attirent et se repoussent comme deux aimants qui cherchent leur polarité.


Je ferais bien une photo de cet instant. Je noterais au dos « Rencontre de chats » et je me souviendrais longtemps de ces premiers instants.

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L'AMOUR FOU

Je me suis étiré dans mon sommeil. J’ai repris conscience à la vie. J’ai senti ta chaleur contre moi. Elle m’enveloppe de tout ton amour et cela me fait du bien. C’est un retour à la vie heureux. J’ai ouvert les yeux dans le noir. Un rai de lumière au bas de la fenêtre m’apprend qu’il fait jour. J’entends ton souffle régulier et je sais que tu es vivant toi aussi. Cela me rassure. 


Comment vivre sans toi. Je me suis collé à toi en cuillère. Je suis la grande cuillère, tu es la petite cuillère. Cela fait dix minutes que je suis réveillé et je n’ai pas bougé de peur de te réveiller. C’est mon moment à moi, comme si tu étais à moi. 


Je me glisse hors du lit, il fait un peu froid, je vais à tâtons jusqu’à la fenêtre et j’écarte un peu le rideau. Il fait gris, comme tous les jours depuis trois mois. Ça me rend triste et las. Je t’entends bouger au bruissement des draps, ton souffle s’étire longuement et tes mains viennent taper mon oreiller. Tu me cherches. Tu dois te demander où je suis.


  • « Quel temps fait-il ? » 

  • « Gris »

Je tire le rideau pour te le confirmer. Je me retourne, te regarde, tes yeux m’invitent à te rejoindre. Je retrouve ta chaleur comme un plaisir d’enfant. Nous restons blottis face à ce ciel gris sans rien dire. L’hiver est long cette année et nous sommes à saturation. Qu’allons-nous faire de ce temps gris ? La question ne se pose pas mais elle est présente entre nous.

  • Et si les nuages s’envolaient dans l’espace ? 

Ah je te retrouve mon copain lunaire et ça fait du bien.

  • Oui et si ?!

  • Et si le soleil revenait sur terre, juste pour nous, juste pour aujourd’hui ?

  • Oh oui ! 

Nous voilà à l’unisson

  • On dirait que l’on irait se promener en forêt

  • Oui on dirait

  • On dirait que tu serais le dieu des forêts

  • Oui, et on dirait que tu serais le dieu des clairières

  • Oui, on dirait

  • C’est bien, la clairière est au centre, la forêt la protège

  • Oui et la forêt a un secret bien caché, sa clairière

Nous avons souri. J’ai remonté la couette au-dessus de nos têtes, le noir est revenu.

  • Et si on restait là sans bouger, l’un contre l’autre, peau contre peau. On dirait que le temps s’est arrêté et que nous allons rester éternellement dans la chaleur de l’autre, dans l’amour de l’autre.

  • Oui on dirait.

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LES JEUX DE L'AMOUR

J’ai juré que jusqu’à jeudi, je ne jouerai pas, je ne me moquerai pas de Paul. Alors Paul peste pour premièrement me reprocher mes moqueries mais deuxièmement pour me les réclamer. Si jamais je ne joue pas, Paul est triste, Paul est en colère.


C’est comme cela entre nous, on joue à se jouer, on joue à se moquer, on joue à se taquiner. Mais on ne joue pas à s’aimer, non on s’aime vraiment mais comme on ne sait pas se le dire, on joue à ne pas se le dire, plutôt se le dire par moyen détourné, c’est l’amour vache car on s’aime comme des cochons.


Ne pas se le dire est devenu un jeu, un match, une partie de rire, de rigolade. Derrière ces rires, on est des grands timides, des grands peureux, des grands superstitieux parce que se le dire, ce serait se perdre, perdre la partie, terminer le match. C’est notre philosophie, l’essence de notre couple, rire de tout, rire de rien, ne rien dire pour être un tout.


Alors jusqu’à jeudi, cette trêve me donne le sentiment qu’on ne s’aime plus. J’aime tellement quand on joue à chat, qu’on se tourne autour sans jamais se toucher, comme deux chats qui se cherchent, comme deux chatons qui jouent, qui jouent à se battre pour rigoler, pour rigoler de la vie, pour apprendre la vie.


Voilà, on se joue de l’autre mais jamais on ne se perd, on se gagne.

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LA FIDÉLITÉ

J’ai pris le RER avec une batavia. C’était une belle batavia, bien ferme, bien verte, bien fraîche. Elle m’a souri sur l’étal du Franprix. C’est tellement rare, quelqu’un qui me sourit. Je me suis dit « ma belle, tu viens avec moi » Aussitôt pesée, aussitôt achetée, aussitôt embrassée. Oui je l’ai posée au creux de mon bras, un peu comme une enfant et nous sommes partis prendre le RER. Elle ne me parle pas, je la sens timide, je lui fais peur. La ville la surprend. J’apprends que le champ d’où elle vient était très différent.


Et nous voilà tous les deux assis dans la voiture, regardant la foule, les regards collés à leur téléphone. Je me sens bien, je me sens moins seul. C’est déjà une copine, plus qu’une connaissance. Si elle reste fraîche assez longtemps, elle pourrait devenir une amie.

Elle me plait bien cette batavia. « Où va-t-on ? » me dit-elle. « Ah tu vas voir, c’est une surprise ! »


Au quatre-vingt-quatre rue de Charenton, j’ai poussé la porte de l’immeuble.

  • On est arrivé ? 

  • Oui. J’ai ouvert la boîte aux lettres

  • Tu as du courrier ?

  • Non

  • Tu attends une lettre ?

  • Oui

  • De qui ?

  • De celui qui est parti

  • Qui est parti ?

  • Celui que j’aime

  • Tu l’aimes toujours ?

A mon âge, on est trop vieux pour les faux semblants, j’ai répondu « oui »

  • Il y a longtemps qu’il est parti ?

  • Vingt-huit ans et douze mois que j’ouvre cette boîte aux lettres tous les jours

Batavia me regarde bouche bée

  • Mais tu habites ici ?

  • Non j’ai habité ici autrefois. J’ai acheté la boîte aux lettres pour garder une attache, une possibilité, un espoir.

  • Mais il est parti où ?

  • Je ne sais pas, un matin, il s’est préparé, au moment de partir pour son travail, il m’a embrassé, il m’a dit qu’il m’aimait, il est parti. Il n’est jamais revenu.

  • Ah bon ? comme ça ? mais il est allé où ?

  • Je ne sais pas

  • Mais il est où ?

  • Je ne sais pas

  • Et tu l’attends toujours ?

  • Oui

  • Je te comprends, me dit-elle. J’ai aimé un jardinier, il m’a semée, arrosée. J’ai eu une belle vie avec lui. Nous avons chanté le printemps. J’étais apaisé avec lui. Puis il m’a cueillie, il m’a mise dans une cagette, il m’a embrassée et il est parti. Tu crois qu’il va venir me chercher ?

  • Je ne crois pas, non.

  • Ah, dit-elle déçue. La vie est comme cela, les uns s’en vont, d’autres restent. Nous sommes de l’espèce de ceux qui restent.


J’ai refermé la boîte aux lettres, je suis sorti. Batavia devenait lourde sur mon bras, aussi lourde que mon cœur, aussi lourde que ma boule au ventre. J’ai senti l’émotion monter à mes yeux. J’ai mis la batavia dans mon cabas à courses. J’ai remonté la rue dans ma solitude. Mon rêve de lettre était encore crucifié mais déjà ressuscité pour demain.


C’est une semaine calme, sans imprévu.

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LA LIBÉRATION

Je suis venu dimanche plein d’espoir pour te voir. Cela fait dix-huit mois que je ne t’ai vu. J’étais chargé de l’espoir de revoir ton sourire, de retrouver tes yeux qui se plissent quand tes pommettes s’élèvent, de retrouver cette lueur de mystère qui me transperce.


C’est vrai que l’on s’est mal quitté, par un sms, sans élégance, avec brutalité, sans faux semblant, avec sincérité. 


J’ai gardé espoir de te retrouver, trop conscient de la rareté de notre rencontre, de son évidence, de sa beauté. Trop amoureux encore de l’alchimie de nos phéromones, de la force de nos corps rencontrés, trop séduit toujours par ton esprit simple et complexe, par ta personne dure et douce, par ta personnalité pudique et libérée.


Je suis venu dimanche à cette fête à la moto, là où je savais te trouver, avec l’espoir de te retrouver. Pour me donner une contenance dans cette foule enjouée, j’ai acheté une bière et des frites, je me suis assis sur un banc. Le hasard est une science exacte et mon regard dans la foule t’a trouvé, une fois, deux fois, trois fois et enfin tu m’as vu, tu m’as souri, le sourire tant attendu, tu es venu, tu t’es assis. Nous avons échangé quelques banalités, tu ne m’as rien demandé d’essentiel et moi non plus. Je ne t’ai surtout pas demandé si … 

Tes motos t’ont appelé et tu as disparu. Je suis resté assis, seul. Les bruits de la foule se sont estompés. Seul mon sang bruisse dans mes oreilles, contrit que je suis de n’avoir pas osé te demander. Mais il n’y a rien à te demander, tout avait été dit, tout avait été compris mais j’avais besoin de te voir en face pour l’accepter.


J’ai déambulé dans la fête, l’esprit léger. J’ai regardé cette foule bariolée auquel je n’appartenais pas. Au bout d’un moment, j’ai décidé de rentrer, de te laisser, de m’en retourner. Me faufilant dans la cohue, je vois un dos avec deux mains croisées. Le hasard est une science exacte et la mémoire fidèle. J’ai dépassé cet homme, je me suis retourné, c’était toi, j’ai fait un geste d’adieu de la main que tu m’as renvoyé. Voilà c’est terminé, geste symbolique.


Je suis libéré, j’ai déposé les espoirs, j’ai posé ma réalité, j’ai reposé mon cœur et je suis rentré. Je ne t’appellerai plus, jamais.

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L'AMOUR D'ÉCRIRE

Trop anéanti pour continuer à écrire. Mon été continuait dans la satisfaction de boire, et de mon laisser aller à l’ivresse, cet état entre deux eaux où je perdais pied sans vraiment perdre l’équilibre. Et je m’y sentais bien, à mi-chemin entre tout et rien, en demi-teinte, souvent en début de soirée entre chien et loup.


Le fils du voisin m’accompagnait dans cette dérive et je trouvais en lui un complice d’alcool, alcool qui nous plongeait dans des contemplations dont nous ne sortions pas indemne, la tête embrumée, l’estomac au bord des lèvres et les jambes flageolantes. Et je me plaisais dans les vapeurs de cette dérive, au bord de l’océan, dans le vert de la campagne où bière et whisky se mêlaient, s’emmêlaient pour me mener loin de mes idées noires, de ce cafard d’encre qui m’engloutissait depuis des semaines.


Le fils était mon complice, mon frère, mon ami tant la noirceur de son esprit rendait mes angoisses grises, si pâles à côté de ses peurs. Et la nuit, dans la pénombre des rues, dans cette absence de lumière, je retrouvais avec lui, après plusieurs verres, à la blancheur de son regard, un peu de lumière, une forme d’éclairage qui rallumait ma flamme, la flamme de l’inspiration qui me permettait au petit jour de trouver la force, la clairvoyance de reprendre mon écriture et de noircir encore la page blanche.

DEUXIÈME PARTIE

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L'AMOUR RASSURANT

Ils avaient pris ce chemin de légende. Ils marchaient les uns derrière les autres. Marius le grand-père devant, puis le père, la mère et enfin Billy qui fermait la file. Ils avaient laissé la voiture à l’orée de la forêt, une forêt de feuillus qui semblait sombre de l’extérieur. C’est Marius qui connaissait l’itinéraire et c’est pour cela qu’il ouvrait la marche. 


Dès que l’on pénétrait dans le sous-bois, il n’était pas si sombre. Le soleil filtrait à travers les feuilles et de rayons tombaient comme des traits de crayon et faisait des tâches jaunes au sol. Billy essayait surtout de ne pas marcher dessus de peur de déclencher des explosions violentes de laves incandescentes. L’air était frais et s’y mêlaient des odeurs de terre, de moisissures avec les premiers parfums des crocus qui pointaient leur nez çà et là au milieu d’un tapis moussu vert tendre et orange par endroit.


Rapidement au bout du chemin, une clarté annonçait l’autre côté de la forêt. Ils débouchèrent en haut d’une prairie qui descendait en pente douce vers le fond du vallon. La mère éblouie, sortit ses lunettes de soleil et les posa sur son nez avec délicatesse. D’un doigt agile, elle replaça une mèche de cheveux derrière l’oreille droite. Ce geste familier rassura Billy qui observait sa mère en douce.


Marius, la main au-dessus de ses yeux pour se protéger du soleil, tendit le bras pour montrer la direction à suivre. Le père opina de la tête. Ce matin, le ciel était jaune d’un soleil bas encore un peu d’hiver. En bas du vallon, un champ de tulipes jaunes délimitait un grand rectangle de couleur unie. A chaque angle, les premières fleurs de cerisier écloses posaient des taches roses. Ils ont commencé à descendre de la montagne.


Billy, petit garçon au milieu de la prairie, gardait ses yeux fixés sur les hanches de son père dont la démarche assurée lui donnait confiance.

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L'AMOUR PUDIQUE

L’estive a commencé ce matin. J’aime ce moment de l’année, il marque le début de la saison et la fin de l’école. Les troupeaux ont été rassemblés sur la place du village. Le tintamarre des cloches est assourdissant. Les hommes parlent fort. Certains arborent un gilet de fourrure de mouton. Le soleil est au rendez-vous dans un ciel limpide.


Je sens contre mon dos le sac du casse-croûte où ma mère a glissé l’essence même de cette journée, un bout de saucisson, un bout de fromage, une pomme, une bouteille d’eau. Peut-être mon père me fera la surprise d’un œuf en chocolat, reste de Pâques qui me rendra heureux. Les bergers sur leurs échasses arrivent et la transhumance démarre. Les bêtes et les hommes s’élancent dans un même mouvement élégant.


Je sais déjà l’éternité des heures qui arrivent, la marche lente, la pente rude, la chaleur qui monte, les cris des hommes derrière les brebis égarées, les aboiements des chiens qui les remettent dans le droit chemin, les couleurs des eupatoires qui claquent dans les champs, l’odeur enivrante de l’herbe foulée, les passages à l’ombre où tout d’un coup il fait froid, oui je sais tout cela et j’en suis heureux d’avance, mon cœur bat fort, mon regard essaie de tout prendre même si ce n’est pas possible, j’essaie de graver chaque minute de cette tradition parce que je sais déjà qu’elle est l’expression de mes racines. J’imagine que mon père a ressenti cela et son père avant lui, une euphorie indicible qui va me porter tout l’été jusqu’à la prochaine rentrée.


Les champs cultivés ont laissé place aux premières prairies d’altitude. C’est le moment de la pause et du festin tant désiré. Je fais semblant d’ignorer mon père, lui gardant le bonheur de ma surprise devant l’œuf enveloppé de papier doré qu’il déposera devant moi. C’est un rituel, un jeu de rôle, une marque d’affection. Je me suis assis dos au soleil, face à l’espace de la vallée, j’en prends plein les yeux, j’ai le vertige, l’odeur des bêtes qui broutent, pas loin, me rassurant.


Je sens le pas de mon père, je frémis. Je vois sa main puissante et calleuse qui pose sur mes genoux l’œuf espéré. Son autre main passe dans mes cheveux puis caresse mes épaules et je sens dans ce geste tout son amour.


Je croque l’œuf en une seule bouchée, gourmand et vorace. Voilà l’œuf est mort pour l’éternité et il reste une jouissance inoubliable.

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L'AMOUR QUI ÉLÈVE

Sur les branches, les étoiles de glace marquent le début de l’hiver. Il a malgré cela pris son vélo et renoncé à prendre le bus. Il roule à travers les vignes et les talus sont blancs. Son souffle chaud enrobe son visage d’une vapeur bleutée. Il a le nez écarlate et le rouge aux joues dès la sortie du village. Le pompon de son bonnet flotte dans le vent de la vitesse. Il faut dire que la petite route qui permet de quitter le village descend jusqu’à la route départementale.


Le jeune garçon est souriant, il est heureux, il pédale vaillamment pour rejoindre le lycée. Il pense au sourire de Nadine sous sa frange blonde, aux yeux dorés de Philippe qui vont pétiller à chaque blague balancée. Il pense à l’amitié, il pense au contrôle de math de dix heures, il pense à sa jeune vie, si facile, si insouciante. Il est conscient et réaliste que sa seule responsabilité est de vivre, d’apprendre à être et d’apprendre les enseignements dispensés. Il est un garçon simple, entouré, choyé qui aime la vie, qui aime sa vie, qui a confiance tout simplement.


Le soir autour de la table, la soupe est chaude et il se brûle. Une soupe de légumes, une soupe épaisse qui tient au corps et réchauffe lors des frimas. Il y a aussi le lit de bois et la couette épaisse qui réchauffe et protège. Il y a le feu qui crépite, hypnotise et rend le visage cuisant tout en laissant les fesses froides. C’est toute cette simplicité, cette douceur, cet amour qui donne confiance à ce garçon. Il se sent accompagné à devenir adulte, à quitter ce nid, autonome et responsable.


C’est peut-être son père qui lui a donné cela, ce père qui l’aime, ce père qui le valorise, ce père qui pose les règles, ce père. Parce que le père ne cache pas la vérité et la dureté de la vie, les échecs et les lâchetés.


Souvent il lui dit : Qui es-tu ? Moi, je ne suis rien. Qui seras-tu ?

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LES VIOLENCES DE L'AMOUR

Sophie tousse, sa gorge lui gratte. Assise sur le banc de fer au bord du chemin, elle regarde les deux vieilles chaussures posées à ses pieds. Sur la colline face à elle, il y a un château dévasté et en contrebas dans le champ, un silo à grain. 


Au sud, le soleil brille et éclaire les arbres de jaune. Au nord, le ciel est gris et il pleut. Sophie tousse à mi-chemin entre chaleur et frimas. Sur sa joue gauche, une brise humide, sur sa joue droite un souffle chaud. Sophie tousse. A-t-elle pris froid ? 


La campagne est silencieuse, elle est au centre d’un havre de paix. Elle ne sait pas où elle est, ni pourquoi, ni comment elle y est arrivée, itinéraire oublié. Sophie tousse encore, Sophie tousse toujours, elle a oublié, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie.


C’est presque beau, pensa-t-elle, pour ceux qui apprécient la solitude. Le soir tombe et tout devient gris. Sophie tousse et essaie de se souvenir. Elle sent bien que c’est coincé dans sa gorge, que quelque chose veut sortir mais que ça ne sort pas. Sophie tousse, c’est une histoire de vie, pas de mort, non de vie, tousser pour vivre, tousser pour expulser, expulser ce qui gêne, comme une victoire, une victoire sur sa vie.


Elle se souvient que sa mère lui disait « Arrête de tousser » comme un ordre, une injonction comme si elle le faisait exprès, comme si sa gorge ne grattait pas, comme si ça n’existait, comme si elle n’existait pas. Sa gorge se noue quand elle pense à sa mère, comme si une corde, comme si deux mains, comme si les mains de sa mère serraient, serraient fort, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie.


Sophie tousse et pense à son chemin de vie, elle a été une enfant, une enfant battue.

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LES COULEURS DE L'AMOUR

Dans la jardinière au bord de la fenêtre, il y a des géraniums, les géraniums de Grand-mère. Le soleil de la fin de journée vient embraser les fleurs orange, le vrai orange géranium. En dessous, les feuilles éclairées sont d’un vert silencieux presque transparent. Les feuilles dans l’ombre sont opaques et je devine à peine leur peau veloutée.


Cet après-midi dans le champ en face, j’ai trouvé les lavandes menaçantes. Une succession de boule mauve qui s’imbrique pour former une armure à la dimension du terrain. L’odeur était suffocante et le bourdonnement des milliers d’abeilles me faisait penser à un escadron de bombardiers. J’ai eu peur.


Plus tard au jardin de Grand-père, j’ai préféré les aubergines étourdies de soleil et les tomates gorgées d’un rouge cuisant. Le bleu réconfortant des fleurs d’ail me faisait penser à des petites balles flottantes. Je voulais couper les tiges pour les voir s’envoler. Grand-père n’a pas voulu.

A l’ombre de l’arbre de Judée, j’ai regardé les grappes de fleurs rose fuchsia qui créaient une coupole rayonnante. J’imaginais que cette lumière rosée allait m’aider à tomber amoureux. Le rose c’est l’amour et je ne sais pas pourquoi.


Le soleil s’est couché, les géraniums sont plus ternes. Il reste le mur blanc de la maison qui renvoie la chaleur accumulée. Le ciel est passé de bleu à bleu clair puis bleu foncé. Le noir ne viendra pas vraiment par cette nuit étoilée. J’irai dormir dans la chambre jaune, celle avec le petit lit et le cosy.


C’est les vacances, les vacances arc en ciel chez mes grands-parents aux yeux si bleu, l’un a les yeux couleur du ciel et l’autre les yeux couleur de la mer. 


Et moi j’ai les yeux verts, vert éperdu, éperdu d’amour.

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L'AMITIÉ INCONDITIONNELLE

A : Tu les vois ?

B : Non, rien

A : Tu vas bien ?

B : Oui très bien

A : Tu crois qu’ils vont venir ?

B : Pourquoi ils ne viendraient pas ?

A : Je sais pas, ils sont bizarres

B : Ah bon ? tu trouves ?

A : Oui un peu

B : Mais bizarres comment ?

A : Bizarres


A : T’es bizarre, toi aussi

B : Tu trouves ?

A : Oui

B : Pourquoi ?

A : Ben tu ne sais pas, tu ne dis pas, tu éludes. Va au bout de ton idée, ça nous aiderait

B : Je suis comme ça

A : Tu vois, j’ai raison

B : Je ne sais pas


A : Mais si j’ai raison « je suis comme ça », ça ne veut rien dire, comme quoi ? Comme une andouille oui, voilà comment tu es. C’est comme cette fille, pourquoi tu l’as quitté ?

B : Je ne sais pas

A : Elle était gentille ?

B : Oui mais pas que

A : Comment ça, pas que ?

B : Pas que gentille

A : Oui j’avais compris. Tu m’ennuies

B : Elle était jolie aussi et elle sentait bon


A : Je ne te comprends pas

B : Moi non plus

A : Tu m’énerves

B : C’est pour cela que tu m’aimes

A : Tu dis « aime » ?

B : Oui

A : Je ne comprends plus

B : Moi non plus


A : … tu les vois ?

B : Oui

A : Alors ils sont comment ?

B : Ils rient mais …

A : Mais quoi ?

B : Mais rien

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L'AMOUR SOLIDAIRE

C’est un homme errant. Nous l’avons rencontré à l’angle du boulevard de la Liberté. C’est là qu’il vit. C’est notre boulot, aller à la rencontre des sans domicile. L’homme est craintif. Il nous a fallu du temps pour le rejoindre. Il nous a fallu être là et entendre. Tous les jours, entendre petit à petit, les besoins, boire, manger, se laver, entendre les rituels, où manger, où dormir, où parler. Entendre les blessures du travail, de la famille, du cœur, de la vie.


Il nous a fallu du temps pour qu’il accepte de venir chez nous au local. Il est venu pour un café, de temps en temps. Il est venu pour une douche, toutes les semaines. Il est venu pour parler, tous les deux jours et enfin il est venu tous les jours pour nous aider.


Mais tous les jours vers dix-neuf heures, nous avons continué à venir boulevard de la Liberté, pour s’intéresser à sa journée, pour s’assurer, pour nous rassurer.


Maintenant, il a accepté un contrat, il vient quant il veut, pour le temps qu’il veut et il travaille avec nous à trier, à classer ce que l’on nous a donné. Ce sont les premières heures de sa nouvelle vie.


L’homme errant, c’est Jean. Il nous parle beaucoup d’un monde différent la nuit, du froid, de la peur, de la violence mais aussi de chaleur, de rencontre, de tendresse, d’entraide. Jean a commencé à parler d’espoir. Jean a osé aujourd’hui se sermonner. Nous, on écoute sans jugement. On le laisse éclore, revenir à la vie, il ne faudrait pas briser sa personnalité. Il parle depuis hier de logement mais même un placard, ça coûte trop cher.


Depuis neuf mois, Jean est là tous les jours au local. Il nous parle de son enfant, un fils perdu de vue depuis dix ans. L’homme errant parle de le retrouver, de renouer, l’homme errant parle de se relier. Nous avons entamé la démarche de contacter ce fils parce que Jean nous l’a demandé. Il vit près de la mer tiède et salée.


Ce matin Jean l’errant a pris le train vers la baie. Ce matin l’homme errant a décidé de ne plus errer. Ce matin, Jean a quitté son boulevard de la Liberté et espère au bout de la ligne stopper la spire de ses errances.


Tu m’as inspiré m’a-t-il dit sur le quai.

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L'AMOUR D'ÉCRIRE

Je me suis assis pour écrire, j’écris ma vie pour qu’elle ne soit pas que vécue. 


Je voudrais écrire sur mes nuits, sur ces crises d’angoisse qui me réveillent vers quatre heures. Je reste assis là au bord du lit, dans le noir, le souffle court d’un cauchemar que j’oublie vite. Pourtant je mets du temps à me calmer. Des idées envahissent mon esprit et tournent, tournent sans fin. Je n’arrive pas à les arrêter. Tout devient d’une réalité exacerbée, comme sous une loupe, tout est grossi et tout m’effraie. Ce n’est qu’au petit jour que je retrouve le sommeil après une ou deux heures de lutte avec moi-même qui m’épuisent.


Mais que pourrais-je écrire sur ces moments, comment narrer, comment en rire ? Comment conter ces instants d’angoisse ? Car le matin venu, ces moments s’oublient, se dissipent, s’estompent. Ils deviennent irréels, presque. Je pourrais en rire. Seuls les draps froissés me prouvent que je n’ai pas rêvé.


Je me suis assis pour écrire mais je n’ai rien à dire. Comment parler du noir, comment décrire le gris, comment conter ces nuits blanches, comment livrer les tourments de l’esprit. Tout appartient à la nuit, tout appartient au subconscient, ce n’est pas moi, c’est mon sur-moi.


Et pourtant je les ai vécues ces nuits, les unes après les autres mais je préfère les laisser mourir dans l’oubli que les faire vivre dans les écrits.


On dit que la nuit porte conseil, je ne crois pas.

TROISIÈME PARTIE

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L'AMOUR DE LA PROPRETÉ

Je suis en paix. Je me sens reposé, je viens de terminer le ménage. Je suis heureux, tout est propre, plus rien ne traîne, ni un livre, ni un grain de poussière. Je me réjouis du devoir accompli, j’ai été bienfaisant avec ma maison. Elle respire le propre et je respire cette douce odeur du Carolin pour parquets modernes, j’aime ce parfum qui me comble, me rassure, me dit que je suis tranquille pour une semaine. Je n’aime pas faire le ménage, enfin je n’aime pas, je n’ai pas d’enthousiasme à l’entreprendre, j’ai de l’enthousiasme à le savoir terminé.


Je parcours les pièces, chaque objet a sa place, les bibelots brillent débarrassés de leur voile de poussière, les miroirs nets de toutes traces me renvoient une image plus belle de moi. Dans la salle de bain, une odeur d’anticalcaire transcende le lavabo et la baignoire immaculée. Les serviettes propres sont joliment disposées et dans les toilettes, le papier est plié en pointe à la manière d’un hôtel quatre étoiles. Dans le salon, mon doigt glisse sur le buffet pour vérifier qu’il ne reste aucun grain, les vitres des fenêtres propres laissent entrer une lumière plus claire et plus belle.


J’ai terminé mon ménage et mon esprit s’apaise. J’ai besoin de l’ordre autour de moi parce qu’il y a un tel chaos, un tel capharnaüm dans ma tête, les blessures suintent, les peurs crient, les colères grondent, la bibliothèque des souvenirs n’est pas classée, ni par thème, ni par ordre alphabétique, les fantômes des personnes disparues hantent les couloirs de mon âme, tout est poussiéreux, les sols sont jonchés de lettres de rupture et d’abandon et dans un coin est posée une peluche perdue un jour de départ en vacances sur une aire d’autoroute. Il lui manque un œil. Tous les regrets s’agitent et s’entrechoquent avec leurs sœurs les lâchetés et leurs cousines les bassesses.


Il y a bien au fond du placard, là-bas, quelques joies et quelques fiertés que je tiens enfermées à double tour, trésor précieux que je n’ose montrer au grand jour.

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LE VENTRE D'AMOUR

J’ai un ventre, une bedaine, une surcharge pondérale, une obésité abdominale. Je me regarde dans le miroir et je ne vois que cela. Je ne l’aime pas ce bidou, il me gêne. C’est proéminant. C’est comme un poids que je porte devant moi. C’est lourd. J’ai le sentiment par moment que cette partie de mon corps ne m’appartient pas. C’est comme un sac à dos que je porte devant moi. Quand je me déplace, il me précède comme un coussin, comme un nuage. Il me protège des autres, c’est une protection, un airbag que j’ai accumulé au fil des ans. Il me protège de moi aussi. Il est toute ma sensibilité, toutes mes blessures que je n’ai pas su laisser derrière moi, que je n’ai pas su lâcher. Tous ces moments de la vie qui m’ont blessé, troublé, construit. Tous ces instants où les autres vous quittent, vous abandonnent, ne vous aiment plus et vous le disent. Tous ces instants où l’on comprend que l’on s’est trompé, que l’on s’est menti, que l’on n’a pas eu le courage de s’avouer sa lâcheté, sa faiblesse, son trouble. Parce qu’évidemment ce genre de ventre n’est pas la quintessence d’une force, d’une victoire, d’un combat, non ces puissances se retrouvent dans les bras, les cuisses, les pectoraux.


Ce ventre est le trait marquant du dessin de ma silhouette, ce que l’on remarque de loin. Il me donne un air jovial, rassurant, gentil, peu menaçant. Il déclenche la sympathie. Normal, il est la trace d’une sensibilité, d’une émotion à fleur de peau qui s’exprime dans la rondeur des chairs, dans la graisse accumulée, comme une savoureuse motte de beurre, comme un délicieux flan au caramel qui attise les papilles et rassure déjà l’inquiétude ténue.


Ce ventre est un atout de séduction. Ils sont nombreux ceux qui le fantasment, ceux qui rêvent de se blottir contre, d’y poser la tête pour écouter les battements de mon cœur et sentir tous les sentiments bienveillants dont je suis capable et qui apaise, réchauffe et aide ces garçons à trouver un peu de soutien pour affronter les peurs de leur vie. C’est cela, il soutient et je me prête amoureusement à ce rôle.


Ce ventre me pèse certains jours, il me gêne, il m’encombre. Il est là et je ne sens que lui, il m’obsède, il me paralyse, il me plombe. J’aimerais pouvoir le déposer, me décharger, me libérer, le laisser aller vivre sa vie, le rendre à mon passé, divorcer, oui ne plus être lié à lui. Pour cela, il me faudra d’abord comprendre ce qu’il est ce ventre, comprendre toutes ses émotions, les apprivoiser pour mieux les laisser partir, pour les laisser s’échapper, pour ouvrir la baudruche et la laisser se dégonfler. Il va m’en falloir du courage, de l’introspection et de la lucidité pour trouver de la légèreté, pour laisser le poids, pour accepter d’être vulnérable parce sans protection, pour accepter le vide, le manque et me retrouver simple et nu face à moi-même.


Il va être nécessaire que je trouve le quai de déchargement, pour soulager déjà mes articulations, mais aussi mon cœur qui bat, mon cœur qui vibre et mon esprit encombré. Il en va de ma santé, il en va de ma survie, il ne faudrait pas que je me laisse engloutir par cette graisse, par tout ce qu’elle véhicule, il ne faudrait pas que la vague des émotions me submerge et m’anéantisse.


Je me regarde dans le miroir et je vois une image de moi que je n’aime pas. La glace me renvoie des formes, je ne me reconnais pas et pourtant je sais que c’est moi. Alors j’essaie un regard bienveillant, j’esquisse un sourire et je tente de trouver le courage de m’accepter. Je quitte le miroir et j’oublie rapidement ce reflet seule stratégie possible pour vivre un tant soit peu heureux.

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LE DÉTACHEMENT

Je suis seul sur cette plage. Il n’y a personne. Je suis loin de tout. Je ne sais pas où je suis.


Je suis face au soleil qui se couche, énorme boule de feu, gigantesque cercle rouge qui plonge doucement dans l’horizon. La boule glisse doucement et j’entends au loin l’eau qui bouillonne, je vois la vapeur d’eau qui s’élève. La lumière descend doucement, elle aussi, accompagnant la chute de l’astre. Au moment où le dernier bout de soleil est prêt à disparaître, je vois de grandes gerbes d’eau qui éclaboussent l’horizon.


C’est un non-événement, le soleil a été englouti par la mer. Sur la grève devant moi, le ressac de l’eau s’agite, le va et vient s’accélère, l’eau devient marron, avec des tâches rouges, une odeur de soufre, de pierres chaudes arrive à mes narines. L’eau monte doucement et vient lécher mes pieds nus. La mer est chaude, trop chaude et m’oblige un pas en arrière. La nuit est tombée mais il ne fait pas noir. L’océan renvoie une lumière chaude et orangée qui colore tout ce qui m’entoure, les arbres, le sable, les rochers. J’entends au loin un bruit sourd qui gronde. Les oiseaux dans le ciel fuient vers je ne sais où, des poissons flottent à la surface, cuits, l’œil blanc, le corps tordu et figé dans la douleur de leur fin de vie.


Je suis seul sur cette plage. Le bruit est devenu assourdissant, l’air ambiant est chaud et humide, je pense à la guerre, je pense à la peur mais je n’ai pas peur. Je comprends ce qui se passe mais je ne réalise pas. Je lève la tête vers le ciel, mon regard croise les étoiles qui s’éteignent une à une, le ciel devient gris, puis noir par endroit. J’ai soif, mes lèvres sont devenues sèches, ma langue est gonflée, mon nez est sec. Je n’entends plus rien, tout résonne dans un écho sans fin comme si une déflagration venait d’avoir lieu. Mais rien n’a implosé, ni le soleil, ni la terre, ni rien. 


Il y a juste moi, seul sur la plage quand je sens le sol qui se dérobe, l’horizon tourne, je sens que la planète décroche de son orbite. Je suis seul sur la plage et je sais enfin, c’est la fin.

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