LA MAISON MEJEAN
Russan - Août 2010
A Marie, à Jérome, à François, à Nicolas, à Pierre
LE PORTAIL
Quand vous arrivez à la maison Méjean, le portail est ouvert. Il est toujours ouvert. C'est un portail en fer, simple, élégant. Il est noir. De chaque côté, une barre le bloque ouvert. Il faut être certain qu'il ne va pas se fermer même par grand vent. Ce portail fonctionne pourtant, il se ferme et se ferme même à clef. Il y a bien une clef, elle est décorative sur un trousseau. C'est simplement que l'on a décidé de ne pas le fermer. On voudrait vous faire croire que c'est le fait de la paresse ...
Quand vous arrivez devant le portail, vous restez sur le seuil, prêt à entrer mais vous ne rentrez pas. Il y a une frontière, un mur invisible qui vous retient. Il n'y a personne, vous êtes invité mais vous ne rentrez pas. Il n'y a personne et pourtant mille détails vous signalent, une présence, une vie. Il se dégage du jardin, des arbres, de la maison, quelque chose que vous ressentez immédiatement.
La maison est en face de vous. Elle est massive, rectangulaire, simple. Elle a les yeux bleus. Elle est rassurante, on la sent solide. Elle a quelque chose de maternel. Les volets sont à moitié clos mais elle vous regarde et ce regard est bienveillant. Vous le savez, elle vous attend.
Vous n'avez pas peur, non vous êtes juste intimidé. Et vous restez là, vous avez une retenue : le portail est ouvert oui mais vous n'entrez pas si facilement. Vous êtes respectueux, comme un enfant à la porte de la chambre de ces parents. Comme à la porte d'une église. Oui il y a du sacré après ce portail, il y a du sens, il y a une histoire, il y a de l'Amour. Cela vous le comprenez doucement, inconsciemment. Et vous ne savez pas si vous en êtes digne. Vous vous sentez timide en face de sa générosité. Vous n'êtes pas habitué.
Vous avez pu croire que ce portail est ouvert par négligence. Non ce portail est ouvert tel deux bras qui vous accueillent. Ce portail est ouvert pour vous inviter. Ce portail est généreux, tolérant, il est ouvert sur le cœur de la maison. Il est un symbole, une image, une réalité.
Il est ouvert. Vous entrez.
LE JARDIN
Le jardin est un bout de garrigue que l'on a clos : de cette forêt typique composée de chênes, de chênes verts, de chênes kermesses qui forment un sous bois plutôt bas, envahi de taillis et d'un tapis broussailleux qui le rend souvent impénétrable. Un espace a été dégagé pour construire la maison. Quelques allées ont été dessinées pour civiliser sommairement le terrain. A l'entrée, un nain joyeux armé d'une guitare, semble être le gardien de cet endroit.
Ce jardin peut vous paraître sauvage mais vous pouvez aussi y voir la main d'un paysagiste contemporain et prétentieux qui aurait, sans que cela se voit, discipliné la nature tout en la laissant libre. Il vous paraîtra surtout harmonieux et en vous promenant vous découvrirez qu'il est habité.
Une cabane, une volière, une autre cabane dans les arbres, un cheval en plastique, un chien en peluche PETIPER, deux emballages de MRFREEZE, un toboggan, une balançoire, une tyrolienne, un poulailler, un bac à compost, 4 ou 5 ballons, un portique de jeux, 7 bicyclettes, 3 tricycles, 2 trottinettes, un skateboard mais pas de ratons laveurs. Ce parc est habité, c'est évident, par des nains, des elfes ou des farfadets. Tout ce monde est magique, plein de mystères et d'aventures. Là les restes d'une guerre, ici le début d'une croisade, plus loin les trophées d'une expédition. Au détour d'un houx à boules rouges vous vous attendez à trouver DOBBY en conversation avec le lapin d'ALICE. PETER PAN vient sûrement chaque nuit en compagnie de JACK SPARROW pour discuter au bord de la piscine des dernières nouvelles d'un autre monde. Vous êtes certain qu'il y a des parties invisibles, des chambres secrètes, des clairières protégées auquel vous n'aurez jamais accès. Vous devez être initier ou d'un autre âge ou de la caste des Méjean. Dans tous les cas, vous ne faîtes que traverser ce qui vous semble un jardin et vous savez déjà que le mystère restera pour vous à jamais.
Dans le fond du jardin, si vous êtes chanceux, vous trouverez peut-être vous aussi cette pierre avec une inscription gravée : « A la Saint Pierre, prêt du Pont Saint Nicolas, si vous croisez Saint François, le paradis se révèlera ».
Notez là dans un coin de votre mémoire, peut être un jour, au détour d'un rêve, la solution se révèlera à vous.
LA FENÊTRE DE L'ARCHITECTE
Dans le salon, il y a un œil de bœuf. Enfin un demi œil de bœuf, une fenêtre qui est en demi cercle. Le délire d'un Architecte qui mérite le bûcher.
L'idée au départ était jolie, une fenêtre vers le nord pour donner de la lumière, une lumière blanche en hiver ou fraîche en été. La forme romane de cette fenêtre donne à la pièce une touche de caractère, d'authenticité, de régionalisme qui se marie si bien avec les murs blancs et la cheminée en pierre du Pont du Gard. La famille peut se rassembler devant pour une photo annuelle, à Noël, à Pâques ou à la Trinité. L'ouverture devient alors un symbole, un repère dans la vie de la famille. Quel talent, Monsieur l'Architecte !
De cette fenêtre vous pouvez apercevoir l'arrière de la maison, les chênes verts du jardin, le ciel au nord quand l'orage gronde. Vous pouvez surveiller les jeux des enfants, le linge de la voisine qui sèche sur son fil. Vous pouvez vous poster là aussi pour rêver, déprimer ou laisser vagabonder vos idées.
La fenêtre est décorée par une grille en fer forgé qui représente les rayons d'un soleil, telle une gloire dans un ciel nuageux. Elle rend la fenêtre mystique. Si la grille n'était pas si régulière, on pourrait croire qu'elle est un souvenir d'un voyage lointain d'exploration, ramené par un grand père Méjean, conquistador de la première heure, frère d'arme de Christophe COLOMB, découvrant l'Amérique Latine et les Amérindiens. Monsieur l'Architecte vous avez manqué d'inspiration.
Si vous faîte le tour de la maison, la fenêtre est à environ 4 mètres de hauteur sur la façade. Cette façade nord, cachée des visiteurs arrivant par l'entrée sud, aurait pu être banale et sans intérêt. Mais là encore le génie de l'Architecte se révèle. Cette fenêtre romane, presque militaire avec sa grille, donne à la façade un air de château fort. Sécurisée, elle ne craint pas les voleurs de grandes tailles et rappelle à chacun que la maison est une forteresse qui ne capitulera devant aucun siège.
Finalement la fenêtre de l'Architecte se révèle utile, avec une fonction et une position centrale dans la vie de la maison. L'agent immobilier saura la valoriser et elle deviendra alors une vraie plus value en cas de vente.
Aujourd'hui le rebord de la fenêtre est habité. Une colonie d'araignée a élu domicile, tapissant l'espace de leurs toiles. Vous pouvez faire l'inventaire de leur capture après toutes ces années, insectes, feuilles, brindilles. En fait la fenêtre leur appartient.
Eh oui couillon d'Architecte, si la fenêtre s'ouvrait, on pourrait la nettoyer !
LA CHAMBRE DES CARTES
Vous entrez dans une petite pièce un peu en longueur. Le trône est au fond. Vous vous asseyez. Si vous tournez la tête à gauche, vous apercevez Limoges. Si vous tournez la tête à droite, vous découvrez l'Australie. A gauche la carte de France, à droite, la carte du Monde.
De Limoges, votre regard part forcement à la recherche de votre ville de naissance, puis des villes que vous avez habitées, des villes où vous avez séjourné. Vous refaites le périple de votre carrière professionnelle. Au passage, vos yeux accrochent La Baule, ah les vacances de vos 15 ans, le club Micket sur la plage, vos premiers émois amoureux. Vous recherchez les lieux de vos racines, de vos ancêtres, de votre histoire.
Et le regard dans le vague, perdu dans le passé, vous vous arrêtez sur Vichy. Tiens c'est là. Vous n'y êtes jamais aller. Puis des noms inconnus apparaissent, Bellegarde en Marche, tout un programme, La Chaise Dieu, c'est de circonstance, St Cirq Lapopie, cela vous parle mais vous ne savez plus pourquoi. Vous découvrez qu'il y a 68 km entre Brive-la-Gaillarde et Périgueux, c'est essentiel de le retenir.
Des départements restent inaccessibles, le Nord surtout, parce qu'assis, la carte est placée de telle manière que vous ne pouvez pas en regarder le haut. Vous vous attarderez un moment avant de sortir.
A droite, de l'Australie vous partez vers l'Afrique, Madagascar, la Tanzanie, le Soudan, l'Arabie Saoudite, l'Inde, la Chine, bref que des pays où vous n'êtes jamais allés. Et vous prenez conscience de l'immensité du monde.
La Russie est démesurée par rapport à la Corse. Quand vous faites Russan-Paris, le voyage vous semble interminable et quand vous reportez la distance sur la carte du Brésil, vous vous dites qu'il vous faudrait au moins 3 mois pour un simple aperçu de ce pays. 1 cm égale 285 km, c'est formidable, avec votre doigt vous faites 7125 km en moins de 5 secondes. Un record !
Et cette île d'Amsterdam, perdue au milieu de l'océan Indien, qui peut bien l'habiter ? Comment font-il si loin de tout, isolé au milieu des eaux à mille miles de toutes terres habitées ? On doit se sentir bien seul.
De ce côté aussi la carte est grande, l'Alaska et le Canada sont loin de vos yeux, une nouvelle étape va s'imposer avant la sortie lorsque vous serez debout et reculotté.
Soudain, vous constatez que la carte de France vous conduit vers vos souvenirs et la carte du monde vous amène vers votre imaginaire. Curieux phénomène. La nostalgie est à gauche, l'aventure est à droite. Vous souriez, attendri à gauche, vous ne souriez plus, pleins de regrets mais les yeux brillants à droite. Vous ne saviez pas que les sentiments avaient un ordre. La chambre des cartes vous rend philosophe et vous amène à des questions fondamentales sur la vie. Mais elle est aussi éducative et instructive. Maintenant vous savez que Vienne est en dessous de Lyon et non pas à côté d'Épinal et que la capitale de la Zambie est Lusaka.
Mais vous ne pouvez rester des heures dans cette pièce à réviser ou à rêver, cela deviendrait vite louche ou inconvenant. Vous sortez donc triste mais heureux de cette belle aventure. Heureusement, la chambre des cartes se visite régulièrement au grès de votre transit.
Entre nous, quand vous irez dans la maison Méjean. Ne ratez pas cette pièce rien que pour regarder les cartes. Tirez la chasse d'eau avant de sortir, personne ne le saura.
LE POUVOIR DE PIERRE
La chambre de Pierre a deux fenêtres. L'une donne sur le jardin, l'autre sur le palier. Chacune a une paire de volets.
La fenêtre sur le jardin est une porte fenêtre. C'est la seule chambre à bénéficier d'un tel agrément. Une grille empêche de tomber et permet de s'accouder. La vue est centrale. Le portail est en face, la terrasse est en dessous, le regard englobe presque tout le jardin. C'est un poste de guet, d'observation. C'est aussi une fenêtre d'apparat, de commandement. En visite, le Pape pourrait y faire une bénédiction et la Reine d'Angleterre y saluer le peuple Russanné.
Cette fenêtre prédestine peut-être Pierre Méjean à un avenir glorieux, à une réussite sociale certaine, à un destin d'aventurier. Dans tous les cas, il peut déjà s'entraîner à voir le monde d'en haut, à prendre de la hauteur, à porter son regard au loin. Une vocation et une destiné peuvent être influencées par une fenêtre. Faut-il y voir l'ambition que ses parents ont pour lui ?
La fenêtre sur le palier est plus petite. On dirait une fenêtre de chalet savoyard. Elle est en bois clair, avec des petits carreaux et des volets à ferronneries noires. Les volets sont à l’extérieur de la chambre. Toutes les huisseries de la maison étant en PVC, cette fenêtre est tout de suite remarquable par ses matériaux mais aussi par sa curieuse situation. Elle est une énigme, elle vous interpelle dès le haut de l'escalier.
Quand vous arrivez sur le palier, c'est la fenêtre d'une autre maison qui est en face de vous. Il y a une maison dans la maison. Curieux, vous vous approchez pour jeter un œil et si les volets sont fermés, vous essayerez de les entrouvrir et vous n'hésiterez pas à être indiscret. Respectueux, vous resterez devant cette fenêtre, perplexe, cherchant son utilité, n'osant même pas questionner la famille. Vous serez, de toute manière, interpellé par cette ouverture.
Pour Pierre, cette fenêtre peut être un jeu. Quoiqu’ouvrir et fermer une fenêtre est un jeu dont on se lasse vite même dans un univers d'enfant. C'est aussi un lieu d'observation qui lui permet de surveiller les allers et venus des membres de la famille. Ces frères étant jeunes, cette surveillance est encore sans intérêt. Mais d'ici quelques années, elle peut lui donner des informations négociables qui peuvent l'enrichir rapidement.
Dans tous les cas, d'où que l'on se place la chambre de Pierre est une chambre de choix. A mi chemin entre celle des parents et celles de ses frères, elle est centrale à l'étage. Pourvue de deux fenêtres originales, elle gouverne l'éclairage du palier. En effet lorsque la petite fenêtre est ouverte, elle lui permet de bénéficier de la lumière du jour. Mais si Pierre décide de fermer ses volets, le palier est dans le noir avec un risque de chute pour qui le traverse et une surconsommation électrique pour qui allume pour ne pas tomber. Vous voyez, cette chambre est la chambre du pouvoir. Elle en a tous les attributs et permet à Pierre de régner sur la santé et l'économie de la famille. Elle le forme en douceur au pouvoir, à l'observation des autres, à la stratégie, à la politique.
Est ce un hasard si ses parents ont attribué cette chambre à Pierre ? Non, car Pierre tu es, et sur cette pierre, je bâtirai ma maison.
LES VACANCES
En ce mois de juillet, sans raison vraiment fondée, nous nous sommes retrouvés en vacances dans la maison Méjean.
La vie nous avait quelques mois plus tôt accidentés. Une sortie de route nous avait stoppés dans notre élan. Je crois que nous ne savions pas bien où nous allions. La vie est comme cela, elle provoque un arrêt pour vous permettre de réfléchir.
Vincent et moi, nous nous étions rencontrés 5 ans plus tôt. Nous avions rapidement compris que nous allions continuer notre route ensemble. Cela se dit, cela se fit, cela se vit. Donc ensemble nous avons démarré notre voyage. Mais pour aller où ?
La descendance est un but, une continuité évidente de la route parcourue. Mais pour nous pas d'enfant possible naturellement.
L'œuvre, la trace est aussi une ambition éventuelle. Mais nous ne sommes ni orgueilleux, ni talentueux au point de marquer notre époque. Pourtant il lui faut un sens, une direction, une inspiration à cette vie, pour en accepter sa fin certaine. C'est dans l'après, la mémoire, le souvenir que l'on trouve sa raison d'être.
Je me pose des questions. Vincent suit son instinct. Je suis cérébral, il est animal. A cet arrêt forcé, nous avons perdu nos repères. Parce que l'accident avait impliqué des souffrances physiques et morales mais aussi de la fatigue à lutter pour résister à cette nouvelle réalité de la vie.
Et nous sommes partis nous installer dans la maison Méjean. Au début, nous étions timides, gênés. C'est qu'elle en impose cette maison. Toute son histoire est là. La famille, les enfants, le mariage, les aïeuls. Les tableaux, les meubles, les objets. Les photos, les livres, les dessins d'enfant. La lumière, le silence, les odeurs. Et nous avons ressenti tout cela, intensément.
Puis les jours ont passé. Nous avons découvert la maison à toutes les heures de la journée et de la nuit. Nous avons écouté puis entendu ses bruits. Nous l'avons goûtée sous le soleil, sous la pluie, avec le vent. Nous y avons trouvé notre place. Nous avons accepté d'être accueillis, respectés, aimés par cette maison. Et nous nous sommes sentis en vacances. Nous avons trouvé le repos, l'apaisement, la sérénité et un temps de paix.
La maison Méjean nous a symboliquement protégés. Elle nous a offert sa paix et sa puissance. Elle nous a permis d'être heureux. Elle nous a aidés à trouver un début de réponse. Nous avons arrêté de chercher. Nous avons réappris à goûter le présent. Nous laissons l'avenir venir à nous.
Par ces quelques phrases nous avons essayé de vous conter combien il y a dans cette maison, de l'amour, de l'amitié, de la fraternité. Nous avons raconté la maison de Marie et Jérôme par pudeur. Nous voudrions lui dire à cette maison Méjean qu'on l'a aimé, qu'on l'aime et qu'on l'aimera.
Nous voulons leur dire merci.