LOULOUS
Ete 2017
A Loïc et Léon
1
Cette histoire débute lorsque j’ai commencé à prendre le métro pour aller à mon nouveau travail.
Le rituel du trajet est le même tous les matins. Prendre la ligne trois jusqu’à St Lazare puis la treize pour rejoindre Gennevilliers.
C’est l’odeur de savon qui m’avertit qu’il est là. Il s’est installé sur un pallier assez large du couloir du métro.
Je descends l’escalier, je tourne à gauche sur ce palier, puis descends cinq marches pour emprunter le couloir qui mène au quai.
En bas des cinq marches, il y a un robinet d’eau. C’est pour ce confort qu’il a choisi l’endroit. Sur le palier, il a installé ses affaires, ses sacs, son carton avec son sac de couchage.
Il n’est pas très grand, ses cheveux sont blancs et frisés, ses yeux sont noirs mais son regard clair. Sa peau est noire. Il est habillé correctement. Il est propre.
Tous les matins lorsque je passe, c’est le rituel de la toilette. Je le trouve prêt du robinet en train de se laver les dents ou de se savonner le visage ou de passer un peigne dans ses cheveux. Il enveloppe ses chaussures avec des sacs poubelles pour ne pas les mouiller. L’eau qui tombe du robinet éclabousse. Il est organisé et soigné. Et la flaque d’eau au sol témoigne de l’importance des ablutions.
Les gens défilent sans s’arrêter comme s’il n’existait pas. Lui dévisage chacun avec son regard clair. Il est un peu gêné de dévoiler cette intimité. Son visage est bienveillant, celui d’un homme bon et sage. Certain s’arrête pour le saluer, parler avec lui, lui donner de la nourriture. Je lui dis bonjour parfois. Il me répond avec courtoisie. Il répond ainsi à tout le monde. Il est souriant, tous les jours
J’ai le sentiment qu’il connait tous ceux qui passent. Ce sont ces amis. Nous traversons son appartement à l’heure de la toilette. L’espace lui appartient. Il nous ouvre sa maison avec générosité. Je ressens cette réalité avec intensité. Il est sans domicile et pourtant là, dans cette espace de quelques mètres carrés, sur ce palier tel une terrasse avec l’eau courante, il a fait son domaine. Il nous accorde un droit de passage. Personne ne se le sait mais je le perçois. Il est accueillant, il est souriant, il est proche de chacun. Et pourtant il est seul.
Est-ce lui qui occupe l’espace public ou est-ce nous qui traversons son espace privé ?
Aujourd’hui j’ai compris qu’il me touche parce que je me retrouve en lui. Ma vie est comme cela, un espace que je me suis alloué. Des personnes la traversent, mes amis m’y côtoient, des sourires me sont destinés, des paroles sont douces. Des rituels rassurant sont en place. Des plaisirs charnels se partagent. Des nourritures calment ma faim. Des odeurs du printemps ravivent des souvenirs d’enfance.
Ma vie est comme cela, un espace ouvert aux autres où chacun peut venir pour donner ou prendre. Un espace public ou privé. Qu’importe, je me dis qu’il ne faut surtout pas fermer la porte pour garder la possible rencontre magique qui va me marquer, me permettre d’aimer, de souffrir, de vivre. Surtout ne pas fermer la porte malgré les blessures. Garder le cœur et l’esprit ouvert, coute que coute.
Tous les matins, croiser cet homme, c’est comme croiser un compatriote. Son regard me transperce et il me semble qu’il me comprend. Il me rassure. Et l’odeur du savon m’accompagne tout au long de ma journée.
2
J’ai toujours rêvé de faire un voyage en camion. Depuis l’enfance, les lettres « TIR » ont déclenché en moi un appel au voyage. J’étais avide de partager ce quotidien d’homme, la route, les stations-services, les routiers. Un rêve d’enfant que je pensais ne jamais réaliser.
Et puis j’ai rencontré Loïc.
C’est lui qui est venu me parler. Une discussion virtuelle via une application de rencontre. Un premier bonjour sur l’autoroute A13 entre Caen et Rouen, où, je ne sais pas et cela marquera notre rencontre. N’importe où et nulle part le lieu étant sans importance. Il conduisait son camion, je conduisais le mien. C’était un dimanche, j’étais parti aidé un ami à déménager, c’était le début de mes vacances. On s’est certainement suivi puis doublé, c’était pour mieux se retrouver plus loin. Mais là, le lien s’est fait par l’internet et le dialogue s’est engagé. Dès que j’ai su qu’il était routier, je me suis dit je vais peut-être enfin pouvoir réaliser mon rêve.
Mes vacances n’avaient pas de but, si ce n’est rester à Paris. Ma séparation récente avec celui qui avait partagé ma vie, m’avait laissé chaos sur le carreau et sans pleurs, sans colère et sans amertume j’avais accepté l’abandon, la trahison, la tromperie, le mensonge, me disant qu’il était facile de l’accepter. J’étais surpris de ma réaction prostrée mais pas inquiet, le mental gérant les émotions à merveille, ma personnalité, façonnée par les aléas de la vie, habituée à donner le change aux autres, toujours craintif de ne pas être reconnu et aimé.
Ces quatre semaines de vacances s’annonçaient longues, calmes, sans imprévues, sans mer, sans soleil dans le quotidien de mon appartement et de la capitale. Je ne les appréhendais pas, j’avais besoin de me poser littéralement et de laisser couler les journées sur mon corps et mon cœur meurtris.
C’est très rapidement que j’ai fait part à Loïc de mon envie et que je lui ai demandé si je pouvais espérer faire un voyage avec lui. Il m’a répondu par l’affirmative mais que cela ne pourrait s’improviser que sur un voyage long vers le Rhin ou vers le Rhône. Je lui dis mon enthousiasme à partir voulant lui prouver mon sérieux.
Ce premier échange séduisant et la fatigue du déménagement m’ont permis ce soir-là de couler dans un sommeil serein où je dévorai au cours de mes rêves des kilomètres de bitume, guidé par ses yeux bleus et sa barbe rousse.
Alors vous imaginez ma joie quand le lundi vers 16h, un sms me dit :
« Demain je vais à Strasbourg ! »
« Tu m’emmènes ? »
« Oui »
« Où se retrouve-t-on ? »
« Sur l’aire Les Berchères à Pontault-Combault sur la N104 vers quatorze heure »
« Ok »
Voilà c’était décidé, mes vacances débutaient et j’allais réaliser un rêve d’enfant. Je partais en voyage en camion, dans un gros camion, un quarante-quatre tonnes, avec un tracteur et une semi. Et je ne savais pas encore combien ce voyage allait être beau, fort et réparateur.
3
Je m’étais assis sur un plot de béton. Je profitais du soleil sur ma peau. J’avais quitté mon appartement le matin après avoir préparé rapidement un petit sac à dos pour deux jours. J’avais pris métro, RER puis marché trente minutes pour arriver dans cette station Total au bord de l’autoroute. Drôle d’endroit pour une rencontre.
C’est le camion que j’ai vu en premier, blanc, brillant, propre, imposant. Puis j’ai vu son sourire, un bras à la fenêtre ouverte, Loïc me faisant un signe de la main, se doutant bien que ce type seul ne pouvait être que le doux dingue qui avait décidé de partir avec lui.
Nous avions décidé que ses quarante-cinq minutes de pause, nous permettrais de valider si nos personnalités étaient compatibles pour se supporter, s’accorder, s’attirer pour un voyage de deux jours.
Je découvre son sourire, je vois ses yeux bleus, son visage est doux. Sa présence est accueillante et rassurante. Je vois un homme gentil qui cache son manque de confiance par une bienveillance naturelle.
Nous nous sommes assis sous un arbre pour grignoter nos sandwichs. On a fait connaissance. Je ne souviens pas ce que l’on sait dit, que l’on se plaisait sans doute, que l’on était rassuré. J’ai touché son genou, j’ai caressé sa cuisse et les poils blonds. Le contact était fait.
Nous avons décidé que nous partions ensemble. J’ai baptisé immédiatement son tracteur, numéro 834, Léon. Je suis parti en vacances avec Loïc et Léon, rencontré 30 minutes plutôt sur cette aire d’autoroute. Personne ne savait que j’étais là. Je disparaissais pour un voyage de deux jours, j’entrais dans un monde inconnu, j’étais libre enfin de mes souffrances, de mes doutes, de mes angoisses, de mes blessures et surtout je me sentais accueilli, reconnu, pour qui j’étais, sans question, sans a priori, simplement, sans jugement, parce qu’il comme cela cet homme. Loïc m’ouvrait son espace pour mes vacances. Et je sentais qu’il en était heureux.
Je suis monté dans Léon, côté passager, j’ai découvert la maison de Loïc. Je suis un peu intimidé, je pénètre dans une intimité. Loïc a démarré le moteur, il a engagé Léon sur la bretelle d’accès, il était quinze heures et nous sommes partis.
4
La cabine est un peu un temple. On dépose ses chaussures à l’entrée, on y vit en chaussette. C’est un monde parallèle, à part, hors du temps et de la civilisation. Il faut que je vous explique cela.
Je vais l’appeler « le temple de Léon ». Au centre du camion se trouve le dieu que l’on vénère. Un compteur électronique règle le voyage, le temps de travail de Loïc. Cette divinité vous guide. Elle dit quand on part, quand on s’arrête, quand on mange, quand on dort et elle ignore tout de la vie extérieure. Comprenez bien ce que je vous raconte, vous savez quand vous partez et c’est tout. Et Léon va rythmer votre vie à la vitesse bridée de quatre-vingt-cinq km/h. C’est très lent dans notre civilisation de vitesse. Les aléas du parcours et les directives de l’exploitant vont construire votre journée et lui donner une cadence différente tous les jours. Vous mangerez quand il le décidera, vous dormirai au moment qu’il a choisi, vous irez où bon lui semble.
L’exploitant, celui à qui appartient Léon, donne la destination, les heures de livraisons, les détours. Vous connaissez la destination du jour, pas celle du lendemain. Pas d’anticipation, pas de projection, quand vous pénétrez dans le temple de Léon, vous devenez son disciple et vous lui obéissez. Vous lâchez tout ce qui fait de vous un homme libre. Votre choix c’est de l’accepter.
En vacances, c’est extraordinaire, plus de notion de temps, plus de responsabilité, plus de décision à prendre, plus rien que vous face à vous-même. Y travailler est une autre performance, ce que je réaliserai au grès des voyages.
La cabine est aussi un lieu de vie, une petite caravane spartiate, deux sièges, une couchette, des placards de rangement, un petit espace, entre les sièges, qui servira de table, de bureau, de dressing. Il n’y a pas de toilettes, il n’y a pas de douche. Sur la route ce véhicule n’est pas confortable et au soleil cette boite de tôle surchauffe très vite. Pourtant c’est la maison de Loïc toute la semaine et je suis heureux qu’il m’y accueille. C’est un lieu qui m’est interdit puisque Léon est un outil de travail mais la clandestinité m’était nécessaire et je m’y suis caché. Je m’y suis caché en particulier pendant les livraisons où je me glissais dans la couchette, protéger par le rideau, tapis dans l’ombre, écoutant le bruit des entrepôts, le va et vient des Fenwick vidant la remorque. Je restai blotti dans le duvet de Loïc, retrouvant des sensations d’enfant lorsque que je me cachais dans la maison familiale pour écouter vivre cette famille auquel je n’avais pas le sentiment d’appartenir.
Je me suis caché serein dans la cabine de Loïc parce que sa tendresse, sa force et notre connivence me rassuraient.
Nous étions deux naufragés de la vie qui s’était trouvé sur l’autel des doutes.
5
Pour ce premier voyage, nous devions rejoindre les Vosges puis l’Alsace pour livrer de la crème fraiche. La route s’est mise à défiler doucement. Je domine le paysage à plus de deux mètres. Il fait chaud, les fenêtres sont ouvertes, un courant d’air me rappelle que c’est l’été. Je suis bien. Nous parlons. On se découvre. Nos mains se rejoignent rapidement et ce rituel de se tenir le bras s’installe naturellement. Nous parcourons la route main dans la main.
Je découvre que Loïc est un blessé de l’amour comme moi. Trahison, vol, rupture lui aussi vient de quitter un compagnon et essaye de retrouver un sens à sa vie. Ce n’est pas dans le camion, pendant les voyages que nous allons nous raconter. C’est lors des arrêts au cours de longues promenades, que chacun va livrer par bribe, en désordre, rebondissant sur les propos de l’autre, son histoire, son enfance, ses expériences, son imaginaire, ses valeurs et tout ce qui fait notre personnalité, notre personne, notre âme.
J’ai raconté à Loulou. Puisque Loulou nous avions décidé de nous appeler, simplement, sans concertation, c’était venu. Il était Loulou, j’étais Loulou, nous étions Loulous.
J’ai raconté à Loulou des expériences intimes, mon histoire, ma vie, mes peurs, mes tristesses, mes colères, mes joies, je me suis livré avec la plus profonde impudeur, concédant des choses tues depuis toujours, racontant surtout cette rupture, cet abandon, cette trahison, et surtout les sentiments profonds qui m’avaient traversé et qui me traversaient encore.
Loulou en a fait de même et j’ai découvert un homme humble, sensible, déterminé, profondément humain et bienveillant pour son prochain. J’ai découvert un garçon blessé, avec des peurs, des envies. Un garçon qui s’était construit et affirmé tôt dans ce qu’il était mais surtout une formidable capacité à accepter la vie telle qu’elle vient, un extraordinaire pouvoir à prendre les évènements tel qu’ils se présentent et à faire avec. Une soumission apparente qui révèle une force de vie qui vous transporte lorsque vous le côtoyait. Rien n’est compliqué avec Loulou, tout se vit simplement.
A notre deuxième voyage, nous avons longé la plage au bord de la Manche à Lyon-sur-mer. Le jour était déclinant et le ciel empourpré de couleurs vives et sombres. Nous marchions main dans la main, épaule contre épaule, d’un même pas, décidé à livrer à l’autre son histoire.
A notre troisième voyage, nous avons arpenté la campagne alentour de Thuit-Hebert, exploré les bois, découvert la gare perdue au milieu des champs. Nous avons cheminé bras dessus, bras dessous, avouant nos rêves d’enfant, notre imaginaire.
A notre quatrième voyage, nous avons contemplé le Mont-Saint-Michel depuis la plage des Genets, offrant nos corps nus à la brulure du soleil, discutant simplement du sens de la vie et de la direction que nous voulions donner à cet avenir encore incertain de ce qui se présentait à nous.
C’est les aléas du calendrier de travail de Loulou qui a organisé nos rencontres. Nous n’avons rien prévu, nous avons simplement profité des opportunités qui se présentaient à nous. A chaque fois, j’ai fait le voyage pour me retrouver sur la route de Léon, j’ai pris le train, j’ai pris le RER, j’ai longé des nationales à pieds pour arriver sur des parkings, au bord d’une route en rase campagne et monter subrepticement dans le tracteur 834 passant ainsi dans le temple de Léon en toute illégalité.
A chaque fois le hasard a bien fait les choses et toujours nous avons trouvé, au lieu et à l’heure où Léon nous l’imposait, un hôtel pour dormir, un restaurant pour se sustenter, une épicerie pour faire des courses, un bar pour boire un verre. Nous nous sommes contentés de peu, tout nous semblait magique, le temps s’arrêtait, les parfums étaient plus forts et meilleurs, les paysages plus intenses, nos peaux plus douces.
6
C’est un après-midi de juillet. Il fait chaud. Les fenêtres de Léon sont ouvertes ainsi que le lanterneau. Un air léger agite les rideaux tirés qui diffusent une douce pénombre. Nous sommes sur un parking d’entrepôt. Quelques camions s’y côtoient dans l’attente d’un départ. Tout est calme.
Nous sommes couchés l’un contre l’autre sur la couchette. Nos corps nus brillent de sueur. Nos odeurs sont sucrées. Mes mains glissent sur sa peau claire et s’attardent sur son ventre si doux. Ses mains caressent mon dos. Nos baisers sont lents et tendres. Nos vits sont dressés tel un totem. Au fur et à mesure de nos ébats, je vois son visage et ses yeux passés du sourire à l’extase.
Loulou est un homme tout en sourire. Il vit pleinement et simplement son corps, sans complexe, sans pudeur, sûr de son désir. Et dans la fusion des corps, il exprime une extase avec un regard qui vous transperce et vous emmène bien au-delà de son âme dans un monde si intime. Ses yeux sont si généreux qu’ils imposent le respect et procure une profonde jouissance. Loulou prend tout et donne tout en même temps, dans l’instant, sans retenu, avec beaucoup d’élégance.
Dans cet instant, j’aime ce regard soutenu et je le soutiens. Je ne crois pas que l’on m’ait regardé avec autant de puissance et de bienveillance un jour.
Je comprends que j’ai besoin d’être regardé ainsi. Que ce regard porté sur moi est réparateur bien au-delà de toute parole. Il efface les blessures du passé et les doutes de l’avenir. Il me remet à ma place d’homme, il me rend toute ma valeur, il me fait voir toute ma beauté.
J’arrête un instant mes mouvements, je me penche pour que ma bouche retrouve la sienne, sa langue est douce et je plonge sans retenu dans ses yeux qui me regardent.
Je vois alors qu’il est possible d’aimer, qu’il est possible d’être aimé, qu’il me faut laisser derrière moi les blessures pour ne garder que les espoirs.
Cette réalité me transperce et mon corps jouit. Des images douces traversent mon esprit et mon âme comprend qu’il y a encore un sens à la vie. Et les yeux dans les yeux, mon cœur se calme et je m’apaise dans les bras de Loulou.
Ces communions et ces voyages allaient m’emmener bien au-delà des routes parcourues avec Léon.
7
Il m’a quitté après 11 ans de vie. Abandonné. Il en a rencontré un autre. Trompé. Il l’a reçu dans notre maison. Trahi. Il ne m’aime plus. Déçu.
Ma vie bascule, mon avenir s’est effacé, mon présent est vide. Je ne sais que faire de tout mon amour, de toute ma tendresse. Tout est à jeter. Mais je ne jette rien, je n’exprime rien. Je me dis que tout est normal. Je raconte que « C’est la vie ». Je crois que je vais faire avec. Je constate que l’histoire recommence. J’essaie d’apprécier une liberté retrouvée. Je me mens parce que tout comprendre et tout réaliser serait trop douloureux. Je réagis comme je peux. Je continue comme de rien. Et je me perds.
Je comprends mes erreurs. Je détecte mes faiblesses. Je constate ce qui m’a manqué.
Les mois vont passer, ma douleur bien séquestrée. Et puis Loulou est arrivé. Tout va s’éclairer. Tout va s’ouvrir. Je vais me confronter à moi-même. Loulou, droit dans ses bottes, comme un miroir de bienveillance, va me permettre de m’ouvrir, de me libérer de ma douleur, de ma colère, de ma tristesse.
Le regard bienveillant de Loulou m’a permis d’aller au fond de moi-même. L’intimité, l’impudeur, la confiance, le respect, la bienveillance, l’acceptation, la générosité, le partage m’ont permis de libérer une douleur profonde et aigue.
Un soir, sans prévenir, soudainement, les pleurs sont montés, un cri roque est sorti et j’ai expulsé toute ma peine, toute ma souffrance, toute ma colère. J’ai pleuré jusqu’à être exsangue et j’ai appelé Loulou. Lui seul pouvait comprendre et recevoir cela.
J’ai toujours su que cette rencontre avec Loulou ne serait qu’un amour de vacances. Il était clair pour nous que nous ne projetterons pas d’avenir ensemble. La différence d’âge et la distance géographique s’imposait comme un frein. Mais surtout la magie de nos rencontres ne pouvait se concrétiser dans un quotidien forcément plus fade. C’était évident que la beauté et la valeur de nos sentiments résidaient dans l’éphémère.
A la fin d’un voyage, sur le quai de la gare, il regarde partir le train. Sa main s’agite. Il me sourit comme à son habitude. Il me regarde et son visage me dit qu’il faut laisser partir mon passé parce que je mérite mieux, parce que j’ai le droit au bonheur, parce que j’ai de la valeur pour lui.
Le train s’éloigne, le paysage défile, mes lèvres tremblent, le jour décline, j’ai encore l’odeur de sa peau contre moi, mon cœur s’apaise.
8
C’est la fin des vacances, j’ai dit à Loulou que je mettais un terme à nos rencontres. Nous sommes tristes. Je sens que je peux tomber amoureux et je veux éviter cette souffrance. Nous avons décidé de nous voir une dernière fois.
J’ai loué une voiture pour le rejoindre. Je roule sur l’autoroute, il fait nuit, encore un voyage. J’essaie de rester calme et serein pour profiter de ce dernier moment. Je pourrais continuer la route et disparaitre. Ce serait bien de renoncer à tout.
Il est 22h. Je retrouve Loulou sur un parking. Léon est garé dans l’ombre, la semi est ouverte, vide. Elle sera chargée demain à l’aube.
Loulou est souriant comme à son habitude. Il est heureux de me retrouver. Je me sens bien. Il se glisse dans la voiture et pour une fois c’est moi qui conduis. Comme à notre habitude nous improvisons une soirée dans la zone commerciale voisine. Un Mac Do nous accueille. Pas besoin de charme, notre présence nous suffit. Nous parlons de notre rencontre, de nos échanges, de tout ce que cela à provoquer en nous. Nous savons que la fin est proche. Nous rions. Nous sommes bien. Nous trouvons une chambre dans un hôtel en face, hôtel de chaine sans âme, qu’importe les nôtres nous éclairent. Nos phéromones s’attirent et nous trouvons comme toujours les gestes du plaisir. Pour la première fois nous nous endormons dans les bras l’un de l’autre.
Au petit jour, j’ai déposé Loïc auprès de Léon. Je suis parti. Son bras s’agite dans le rétroviseur, le mien par la portière. J’ai les mains qui tremblent, le cœur qui bat fort. On s’est dit peu de chose. Bonne route peut être.
Je conduis dans le matin gris. Le jour se lève. Je sais au fond de moi que cette rencontre est rare. Je suis content de l’avoir vécu. Je me sais privilégié. Elle va rester un temps fort. En même temps je suis triste, comme Loïc doit l’être. Ce n’est pas facile de laisser ces bons moments derrière soi. Je me sens plein de sa tendresse et de sa bienveillance. L’odeur de sa peau douce flotte à mes narines. Et je vois clairement devant moi le vide laissé par mon ex compagnon.
Il est immense cet espace où les projets n’existent plus, où les rituels du quotidien ont disparu, où ma tendresse erre ne sachant où se poser, où ma solitude m’agresse et violente toutes mes blessures, ravivant mes peurs et mes angoisses. Il me donne le vertige, il tétanise mon corps, il déroute mon âme.
Je ne le voyais pas, je ne voulais pas le voir. Et le regard bienveillant de Loïc pendant l’amour m’a ramené à ma réalité. Je suis seul et je peux être aimer et je peux aimer à nouveau.
C’est une vérité formidable mais son négatif révèle le vide laissé par ma vie passée. Le processus de deuil est en route : Assécher le vide de ma tristesse pour le remplir d’espoir.
J’arrive sur Paris, c’est la fin de l’été, l’air est doux. La ville est encore vide de son tumulte quotidien. La saison va se refermer sur cette parenthèse enchantée. L’automne va commencer, je vais perdre mes feuilles jaunies, je vais laisser passer l’hiver et j’attendrais le printemps pour laisser remonter la sève des amours.
10
Elles étaient belles mes vacances avec Loulou. Et tous les matins, une odeur de savon me rappelle qu’il faut laisser une porte ouverte sur l’envers du décor.